Manon Leroy

Dramatiquement mise en exergue ces dernières années par la multiplication de méga-feux estivaux, mais aussi par des mouvements citoyens contre les coupes rases ou la récurrence de conflits d’usage, la nécessité de mieux valoriser et préserver les forêts apparaît de plus en plus comme une nécessité écologique mais aussi culturelle, sociale, démocratique. Espaces en tension, les forêts catalysent des enjeux et intérêts souvent divergents, entre lesquels il est complexe de retisser du commun :  entre le loisir, la préservation et l’exploitation, comment arbitrer, organiser, animer la cohabitation des usages ? Entre mouvements de ré-appropriation citoyenne et logiques d’acteurs économiques, comment dessiner de nouveaux leviers pour remettre de l’intérêt collectif (et peut-être même du commun) dans la gestion des forêts? Et quel rôle l’acteur public peut-il jouer pour faciliter de telles démarches ?

Il y a quelques semaines, nous partagions notre souhait d’explorer cette nouvelle thématique dans le cadre du programme Lieux Communs . Plusieurs collectivités ont répondu à notre invitation, nous permettant d’identifier les enjeux et problématiques plus concrètes mais non moins diverses qui se posent sur les territoires (Département de la Gironde, Région Île-de-France, PNR des Baronnies Provençales et PNR des Boucles de la Seine Normande, Communauté de Communes du Clunisois, Métropole de Grenoble, Région Grand Est …).

Dépasser une approche experte de la gestion des forêts et mobiliser une plus large diversité d’acteurs ?

De la coupe rase aux plans de gestion sur 20 ans, en matière de gestion des forêts la dichotomie entre les expert.e.s et les « simples usager.ère.s » est prégnante, au point de délégitimer la voix de celles et ceux qui n’auraient pas d’expertise technique du sujet et d’induire une forme d’autocensure de ces derniers.

Comment dépasser les approches de communication et de pédagogie envers les non-forestier.ère.s pour reposer des espaces de dialogues éclairés et élargis ? Il s’agirait d’établir un vocabulaire commun, une grille de lecture partagée, pour permettre des débats plus fertiles, de pluraliser les voix et les expertises, mais aussi de mieux prendre en compte les ressentis voire les colères des habitant.e.s face à un paysage qui se transforme brutalement par exemple (coupes rases, forêts décimées par des nuisibles, etc.).

Ça bruisse :
  • L’approche paysagère, peut être une porte d’entrée dans le sujet pour les habitant.e.s, la transformation visible et sensible du paysage mobilisant leurs affects et vécus du territoire.
  • Dans un article rédigé pour Millénaire 3, Manon Loisel (Partie Prenante) propose d’aborder les sentiments d’injustice exprimés de manière plus ou moins véhémente par les habitant.e.s comme une ressource pour l’action publique. Elle plaide pour repenser la posture de la collectivité, qui doit trouver d’autres modalités pour être à l’écoute des ressentis et exprimer sincèrement ce qu’elle a la capacité d’assumer ou pas, mettre en relation les parties conflictuelles et favoriser la diversité des points de vue.
  • Inspirantes également, les démarches de planification partagée expérimentées à Falkirk (Ecosse – UK), par des habitant.e.s  mobilisé.e.s contre un projet d’exploitation de méthane de houille sur leur territoire. Les habitant.e.s ont mis en place une charte communautaire cartographiant ce qu’ils estimaient important pour préserver leur santé, leur mode de vie et le bien-être futur de leurs enfants et petits-enfants. Cette charte a été l’un des outils pour faire reconnaître les droits de la communauté et la société civile locale.

Face au morcellement des forêts comme à la somme des intérêts particuliers, expérimenter des outils et instances de gestion plus collective

Qui possède les forêts ? L’État, les communes, des propriétaires privés rassemblés ou non en groupement collectifs ? En France, 3/4 de la superficie forestière est privée, répartie entre pas moins de 3 millions de propriétaires, dont beaucoup ont en gestion de petites (voire très petites) parcelles. Les approches en sont variables : patrimoine familial à forte valeur symbolique, placements financiers, filière d’exploitation, terrains d’expérimentation de nouvelles formes de sylviculture douce ou de forêt en libre évolution… ou bien charge foncière difficile à entretenir, voire ignorée : il faut également considérer le nombre important de petites parcelles, qui ne sont pas gérées du tout car leurs propriétaires ignorent qu’ils en sont propriétaires.

Sur le terrain des forêts communales, les enjeux ne sont pas moins complexes et certaines communes se sentent prises en étau entre différentes contraintes : les directives de l’ONF, organisme gestionnaire (aux moyens insuffisants au regard de ses nombreuses missions) ; une dépendance à des revenus d’exploitation et/ou à une filière pourvoyeuse d’emplois locaux, parfois en contradiction avec les nécessités d’une gestion durable et écologique ; des  habitant.e.s et usager.ère.s qui cherchent à ré-investir un espace naturel, se mobilisent pour préserver leur cadre de vie, ou encore se retournent vers l’acteur public pour demander des comptes (par exemple face à un chantier mal réalisé) ; le manque de moyens et de leviers pour mettre fin à de telles dynamiques conflictuelles.

Comment, au-delà de cette diversité de statuts, organiser de manière plus collective ce qui relève de l’intérêt commun ? Il s’agirait de dessiner par exemple de nouveaux rôles, modalités, instances permettant de stimuler la coopération entre les différents acteurs, de développer le rôle d’intermédiateur de l’acteur public, de définir des objets et pratiques de gestion collective. On pourrait par exemple s’appuyer sur les outils existants comme les chartes forestières, pour faire émerger de telles instances.

Sous le feuillage :
  • Exemple inspirant en France, la démarche participative lancée par la Ville de Besançon sur la gestion de ses forêts inclut un Conseil de la forêt chargé du suivi de l’aménagement forestier et de la gestion des forêts communales. Ailleurs, le Syndicat mixte de la forêt de Haye imagine la mise en place d’un « Sénat forestier » réunissant plus de 80 acteurs (représentants de collectivités, de services de l’État, d’usager.ère.s, d’associations de protection de la nature, de fédérations sportives ou de chasse, scientifiques, etc.) pour débattre et formuler des propositions pour la Charte forestière.
  • Ailleurs, la ville de Terrassa (ES) a mis en place un Observatoire de l’eau, organisé en commissions impliquant une diversité d’acteurs locaux, des habitant.e.s comme des élus.e. et agent.e.s de l’administration, afin de transformer la culture et la gestion locale de cette ressource vers plus de sobriété. A Naples, c’est un Parlement de l’eau qui incarne ce nouveau type d’instance de débat et de proposition, pour une approche plus concertée de la gestion de ressources d’intérêt collectif.
  • Située dans les Vosges, la Vigotte Lab est une zone d’expérimentation de 30 ha. Confronté à des ravageurs sur sa forêt d’une dizaine d’ha, et à un hôtel-restaurant qui périclitait, le tiers-lieu facilite la coopération entre acteurs de la forêt et le test de solutions à petite échelle (par exemple une micro-scierie pour la rénovation des chalets), et propose des formations pour l’École des Mines, Sciences-Po ou l’Université de Lorraine sur les enjeux forestiers. Le Lab a su trouver des nouvelles formes de (re)mobilisation des propriétaires forestiers, des habitant.e.s, mais aussi de l’acteur public (les communes limitrophes) qui a vu là une source d’inspiration sur des problématiques communes.

De nouveaux modes de valorisation

En France, toute forêt de plus de 25 hectares fait l’objet d’un plan simple de gestion afin d’en assurer l’exploitation raisonnée et ainsi fournir l’industrie du bois. Toutefois dans les faits, les modes d’exploitation sont très divers : le choix de la monoculture ou d’essences exogènes rendent les forêts plus vulnérables aux incendies, moins résilientes face aux variations de températures. Et pourtant, les forêts sont clairement identifiées comme une ressource à préserver : puits de carbone, îlots de fraîcheur, réserves de biodiversité …

Face à ce défi, quel(s) rôle(s) des acteurs publics pour soutenir ou impulser des formes de mise en valeur économique plus durables, combinant par exemple valorisation des ressources et des savoir-faire locaux, qualité des conditions de travail, préservation des emplois et de la biodiversité ?  Dans la mesure ou l’évolution des forêts s’inscrit dans un temps particulièrement long, comment rendre lisibles et faire le récit des approches qui consistent à « faire moins »  (d’entretien, de prélèvement, d’animation, etc.) ? Sur un autre plan, peut-on cartographier et rendre visibles, de manière collective, les attachements et « services rendus » par la forêt, qui peuvent être très divers en fonction des territoires, afin de mieux les faire co-exister dans une logique de préservation ?

Nos bonnes feuilles  :
  • Du côté des dynamiques de relocalisation, à Belleville en Beaujolais, la municipalité rachète des parcelles de forêts afin de créer et maîtriser sa propre filière bois et d’alimenter ses futurs projets immobiliers.
  • Du point de vue des modes de valorisation inspirants, en région Occitanie, le chercheur Clément Feger  expérimente un système de comptabilité écosystème-centré sur les milieux aquatiques : il s’agit de révéler les contributions des acteurs à la préservation de la biodiversité sur 3 écosystèmes, mais aussi les pressions sur ces écosystèmes. L’outil comptable sert ici avant tout d’outil de dialogue entre les acteurs impliqués (agence de l’eau, collectivités, agriculteur.rice.s, associations, entreprises, habitant.e.s), pour sortir des stratégies individuelles, améliorer la coordination des acteurs, et garantir la préservation de la biodiversité.
  • Le droit, avec des mécanismes juridiques tels que l’obligation réelle environnementale (ORE), peut être un allié au service de la préservation des forêts : cet outil contractuel permet à des propriétaires fonciers de s’imposer des obligations de conservation, de gestion durable et de préservation de la biodiversité et des fonctions écologiques, dont un acteur tiers (un acteur public par exemple) se fait le garant ; ou plus prospectifs, comme les Obligations réelles d’intérêt commun (Gilles Martin et Judith Rochfeld).

Et maintenant … au bouleau !

Face à cette diversité d’enjeux liés à la multifonctionnalité des forêts, des acteurs publics cherchent à refondre leurs manières de faire et à initier de nouvelles pratiques. Nous proposons aujourd’hui de créer cadre collectif pour faire résonner et enrichir ces initiatives émergentes, imaginer de possibles ramifications entre elles et entre les acteurs qui les mettent en œuvre ; permettre aux participant.e.s de développer collectivement des scénarios de nouvelles modalités de gestion, puis de les mettre en test localement sous la forme  d’objets tangibles (instances, contrat, etc.),  adaptés aux enjeux de leurs territoires et au contexte de leurs organisations.

Concrètement, le programme vise à :

  • Croiser et mettre en perspective les expériences et réflexions en cours dans différents territoires sur les gouvernances forestières impliquant des acteurs publics (collectivités, PNR, ONF,etc.), nourrir la réflexion de ceux qui les portent d’ initiatives inspirantes et de recherches en cours, en tirer des enseignements collectifs ;
  • Construire et appuyer, avec les partenaires du programme , des expérimentations de modalités et mécanismes concrets permettant de préfigurer une gestion plus collective et multifonctionnelle des forêts ;
  • Documenter et mettre en récit l’ensemble de la démarche, afin de donner à voir une approche systémique et durable de la gestion des forêts.

En mai 2021 débutait le programme Lieux Communs, avec une expérimentation sur un territoire pilote : la résidence Masaryk, à Sevran. Pendant 20 mois, la 27e région s’est associée au bailleur social Vilogia, à la Ville de Sevran et au bailleur CdC Habitat pour expérimenter une autre manière, plus ouverte, de gérer un local collectif résidentiel (LCR) en rez-de-chaussée de la résidence Masaryk, dont la gestion « traditionnelle » ne permettait pas la présence pérenne d’activités utiles aux habitant.e.s du quartier.

Accompagner l’émergence d’un collectif : premier pas vers le commun.

Parti.e.s au départ avec l’intention d’élaborer avec les acteurs du territoire sevranais une gouvernance renouvelée pour les LCR d’une résidence sociale transformés en tiers-lieu, et ainsi dessiner de nouvelles modalités de partenariat public-commun, il a vite fallu se rendre à l’évidence : la priorité était bien de poser les bases de ce commun. Et d’abord, de constituer une communauté d’acteurs, au-delà d’un simple groupe d’individus, avec chacun.e un intérêt propre pour le projet. Au fil des mois, les liens se sont tissés, en prenant le temps de faire connaissance, en participant à des ateliers collectifs, voire en organisant des activités ensemble. Faire commun ne se décrète pas et ne peut faire l’économie du temps et de la patience, garants d’un socle solide pour des coopérations futures. En même temps que la communauté se constituait, les travaux du lieu avançaient, laissant entrevoir ce à quoi le tiers-lieu allait ressembler, et offrant une place au collectif pour sa conception.

Vers un partenariat public-commun ?

À Sevran, des coopérations inédites sont à faire mûrir : l’épicerie sociale et solidaire implantée dans le tiers-lieu fera du CCAS un membre de la gouvernance au même titre que les structures locales qui s’y implanteront également ; le bailleur social, propriétaire des murs, doit encore trouver sa place, entre soutien, partenaire et contributeur, dans une organisation en construction. Pour ces deux structures, il faut aussi accepter qu’il ne soit pas possible de définir exhaustivement les modalités de gestion et d’organisation du lieu à ce stade, afin de laisser le temps au collectif de tester, se tromper, itérer pour trouver un modèle qui fasse commun. Ce sont les prémices de ces réflexions qui s’ouvrent à Sevran, esquissées lorsque nous avons abordé l’organisation quotidienne du lieu, son modèle juridique, son modèle de gouvernance …

Concrétiser des formes de partenariats publics-communs, c’est donc avant tout une question de postures pour l’acteur public (et le bailleur social dans le cas de Sevran) : accepter ce qu’il faut de lâcher prise pour préserver l’autonomie des communautés d’acteurs constituées, faciliter les coopérations locales (en jouant l’entremetteur, plus que le maître d’œuvre), sécuriser des pratiques plus collectives grâce à des outils administratifs et méthodologiques (chartes, convention de gestion, etc), endosser un récit de territoire mobilisateur et transformateur, qui valorise les initiatives locales et les ressources partagées.


Vous voulez en savoir plus ?

Un premier livrable relate notre cheminement à Sevran : la compréhension du territoire, la constitution d’un collectif, la réalisation d’un objet « en commun » pour penser des règles d’usage et un mode d’organisation des acteurs , et enfin les problématiques et pistes pour aborder les questions de gouvernance avec la communauté se constituant.

  • La version à lire en ligne par ici.
  • Et la version imprimable par là.

Un deuxième livrable, sous la forme d’une feuille de route destinée aux acteurs de Sevran pour poursuivre la démarche jusqu’à l’ouverture du lieu, que tout un chacun peut consulter par ici.

L’expérimentation à Sevran, ainsi que les autres productions du programme Lieux Communs sont documentées sur le blog.

Comment, dans les quartiers en renouvellement urbain, mobiliser les acteurs locaux et les habitant.es, sécuriser leur implication, stimuler leur engagement dans la durée ? Quelles pistes pour travailler avec des groupes non organisés et des collectifs informels dans les projets co-financés par l’ANRU ? Quels modes de gouvernance entre des acteurs divers, comment prendre soin du collectif et permettre la contribution de chacun.e ? Un premier atelier nous a permis de mieux cerner sur quelles problématiques les approches de gouvernance partagée inscrites dans le mouvement des communs pourraient venir inspirer les professionnels de l’ANRU et des collectivités impliqués dans des quartiers politiques de la ville ; ce second atelier visait donc à explorer collectivement différents retours d’expérience d’acteurs engagés dans des dynamiques inspirés des communs, notamment autours d’approches juridiques, pour venir nourrir les projets et les réflexions des participant.es.

KriZ, un jeu pour s’inspirer d’initiatives européennes en matière de gouvernance partagée

En guise de mise en jambe, nous testons KriZ, un jeu de plateau imaginé pour découvrir une variété de leviers, glanés en Europe, au service de gouvernances mieux partagées : pactes de collaboration entre habitants et municipalité pour prendre soin de l’espace public, parlement organisé pour co-gérer une ressource en prenant compte l’intérêt des générations futures ; managers de quartiers pour identifier et mettre en réseau les micro initatives locales ; etc. En quoi ces mécanismes peuvent-ils former les jalons d’un système de résilience en temps de crise ?

Il s’agit ici moins d’adopter une démarche solutioniste, que de réfléchir aux  changements de posture nécessaires entre acteurs publics, privés et société civile pour mieux partager les responsabilités et le pouvoir et d’imaginer des formes d’alliances nouvelles pour muscler la résilience d’un territoire face aux crises… Avant de poursuivre autours de trois retours d’expérience.

Antoine Raynaud, un nouveau récit et des outils de coopération pour Loos en Gohelle

Loos en Gohelle, petite ville de 7 000 habitants collée à Lens, ancien bastion de l’extraction du charbon, se distingue depuis la fin des années 90 par une politique de participation citoyenne singulière. Le choc de la fermeture des mines, et la crise économique et sociale qui s’ensuivit furent des expériences particulièrement traumatisantes et dégradantes pour les habitants. À son arrivée au conseil municipal en 1995, Jean-François Caron fait alors le pari d’une reconstruction à travers le développement durable et la culture (spectacles participatifs, land art sur les terris, valorisation des métiers et de l’histoire de la mine…) ; il s’agit de faire retrouver à chacun.e sa fierté et son attachement à la ville. Impliquer, et faire passer à l’acte les habitants devient la condition indispensable de transformation de la ville, autant que des individus eux-mêmes. Le travail de terrain avec les élu.e.s aboutit à un diagnostic social et environnemental partagé sur l’énergie, la gestion de l’eau, ou la gestion agricole et urbaine : la Charte du Cadre de Vie, qui fait de Loos et de sa stratégie de transition la première ville démonstratrice de l’ADEME.

La démarche d’engagement des citoyens va plus loin à partir de 2005, au travers de la mise en place du mécanisme des “fifty-fifty” qui vise à partager les responsabilités entre ville et habitants dans le cadre d’un projet d’aménagement et d’intérêt public. 3 principes viennent structurer la démarche : « une idée, un appui de la commune et une convention ». Les idées remontent par des canaux plutôt informels (discussions, réunions publiques) ou via les relais de communication classiques (courriers, encarts dans le journal municipal…) plus que numériques. Les agents et les élu.e.s servent de relais dans les associations et les familles. La mairie tranche – peu de co-décision car c’est l’élu qui garde la responsabilité  ; la municipalité apporte ensuite une aide financière, matérielle ou en ingénierie ; les porteurs de projets se chargent de leur réalisation qui peut être du ramassage de déchets, de la rénovation de chemins ruraux ou encore de la plantation d’arbres. Chaque “50-50” fait l’objet d’une convention (sans valeur légale) qui permet de clarifier les acteurs, les tâches et les engagements et qui donne un cadre et une traçabilité. Face à la problématique juridique posée par les travaux de gros œuvre, la ville engage sa responsabilité et prend un arrêté conférant aux participants le statut de “collaborateur occasionnel de service public”.

Cette astuce administrative, montre à quel point cette culture de la coopératiomérite d’être diffusée au-delà de la concertation citoyenne, avec les partenaires, mais aussi en interne, à la mairie, en sortant de ses missions attitrées et en faisant “ce pas de plus vers l’autre” pour mieux rendre service, mieux collaborer. L’essentiel est donc de permettre un espace d’expérimentation et d’expression pour les agents, en s’autorisant à chercher, à tenter, le tout étant de documenter et d’évaluer. Le portage politique, comme la posture des agents, sont ici tout aussi importants. La coopération entre DGS et directeur de cabinet se révèle clé dans cette articulation entre un discours politique et un leadership administratif.
“Dans la réalité c’est plus compliqué et moins romantique” nuance notre interlocuteur. Ce sont souvent les mêmes qui s’impliquent (représentatifs pour autant de la diversité de la ville) et l’on retrouve un schéma en 3 strates : un noyau d’habitants porteurs ; des habitants engagés ponctuellement selon leurs intérêts ; des personnes que l’on touche jamais (refus, opposition politique, autocensure…). Bien qu’il faille “faire le deuil de ceux que vous ne pouvez pas toucher”, la participation marche pour certains qui s’impliquent et découvrent ainsi l’envers du décor de la production de l’action publique.

Même si la tendance est à la baisse depuis le Covid, on compte en moyenne 5 à 6 projets par an depuis le lancement, plusieurs centaines d’habitants impliqués, près de 200 réunions publiques par mandat. Par rapport aux années 1990, il y a également eu, localement, un quasi doublement du nombre d’associations. En témoigne, la réduction de 50% du coût de la rénovation des chemins ruraux en impliquant les agriculteurs, les fifty-fifty ont aussi permis de réaliser certaines économies ; d’où le choix de renforcer le budget des services techniques de manière systémique plutôt que d’avoir recours au budget participatif, pas très « capacitant » selon Jean François Caron et s’adressant à des gens déjà inclus et capables.
Bientôt 20 après, se dresse désormais, pour cette municipalité en transition, la nécessité de se réinventer sur ses propres méthodes de mobilisation et d’implication des habitants. Antoine Raynaud nous parle du tirage au sort ; des « TEDx Citoyens », ou « Ch’ti TAIDX », petits témoignages vidéos de projets qui donnent à voir de manière vivante comment ça fonctionne de l’autre côté du miroir. Ils permettent notamment de créer de l’interconnaissance et ainsi un terreau bien plus fertile pour monter des projets ensuite.

Pour aller (vraiment) plus loin : L’implication des citoyens. Retour d’expérience de la commune de Loos-en-Gohelle « Un référentiel pour faire le point et nourrir l’action » (110 p, 30 mars 2020)

 

Olivier Jaspart, pour une théorie du droit administratif des biens communs

Olivier Jaspart est conseiller juridique et promoteur de la théorie du droit administratif des biens communs ; il a notamment travaillé avec la ville de Grenoble, ou dans le cadre du programme Juristes embarqués co-porté avec la 27e Région et France Tiers Lieux. Il dessine au travers de quelles pratiques et cadres une cartographie de la manière dont les acteurs publics peuvent soutenir et stimuler des communs :

En incitant à la « mise en commun », par exemple en menant une politique de commande publique favorable aux communs (Achat de formation sur l’usage d’un logiciel libre à Grenoble ou à la Metropole de Nancy par exemple) , …) ou en promeuvant et rendant visible l’intérêt de ce type d’approche (ex: Mois de la Fabrication distribuée lancé par l’ANCT par exemple)

… Ou encore au travers de l’élaboration d’un cadre juridique (droit souple) incitant les acteurs à agir collectivement à la préservation d’un Commun, comme c’est le cas dans l’élaboration de Plan d’alimentation territoriaux ou de chartes territoriales (par exemple le Pacte pastoral du territoire Causses Cevennes)

En jouant un rôle  d’‘autorité d’entremise’ pour faciliter l’émergence de communs, par exemple en faisant évoluer les appels à projets vers des ‘appels à communs’, susceptibles de fédérer les acteurs pour les inciter à réaliser une oeuvre commune avec un objectif d’autonomisation d’une communauté d’usage (plutôt que de les sélectionner au travers d’un processus compétitif), ou encore en ouvrant le droit des habitants à la contribution à la préservation de l’espace public (par exemple dans le cas du Règlement d’Administration coopérative adopté à Grenoble). Dans les cas décrits ici, « l’administration est au centre des relations sociales pour veiller à l’émancipation des droits collectifs » garante de l’autonomie de la communauté d’usage et partageant la gestion du bien mis en commun (àopposer à une approche à d’ubérisation des services publics, mettant en place le retrait de l’administration, considérée comme une “plateforme” où s’échange un “marché” du service entre individus »)

En ouvrant la co-gestion de biens du domaine public à des communautés, par exemple en en déléguant la gestion au travers d’un bail emphytéotique (Les Grands Voisins, Euroasis), ou encore en adoptant un rôle de “syndic” d’un Commun environnemental, en accompagnant la mise en place d’Obligations réelles environnementales, convention qui permet à tout propriétaire immobilier de mettre en place une protection environnementale attachée à son bien.

Et enfin en se créant un devoir de redevabilité au regard de pratiques respectueuses des communs, par exemple au travers de schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, qui contribue à la promotion et au développement de l’économie circulaire et de ses acteurs.

Pour creuser ses recherches, plongez vous dans son blog (attention, pour les allergiques au droit, ça pique un peu !)

 

Nicolas Loubet et Rieul Techer, la gouvernance collégiale en tiers-lieu

Nicolas Loubet est entrepreneur-chercheur, notamment sur les politiques énergétiques et numériques. Au sein de la coopérative Oxamyne (Oxalis et La Myne), il conçoit et développe des programmes de recherche coopérative (comme DAISEE, sur l’énergie). Rieul Techer se dit ingénieur-chercheur-entrepreneur, coopérateur pour la coopérative Oxamyne co-gouvernée par la Myne. Depuis fin 2018, ils se sont investis dans le tiers-lieu La Myne (créé en 2016 à Villeurbanne), un lieu hybride et inclusif où convergent une pluralité d’activités et de fonctionnalité (coworking, cuisine, bricolage, etc), où se mutualisent les savoirs et les pratiques, et est encouragé l’expérience de la recherche action.

En 2014, l’idée originelle de La Myne est de créer un laboratoire citoyen qui soit un espace de réflexion et de savoirs partagés entre amateurs à propos des modes de vie durables. Au moment de leur rencontre avec la Métropole de Lyon cette année-là, l’urbanisme transitoire n’existe pas et la discipline n’est pas aussi structurée que maintenant en termes de cadres administratifs, juridiques, financiers. Autant de défis, donc, à relever depuis pour La Myne :

Trouver son mode de gouvernance chemin faisant. Au moment de l’acquisition du lieu, la communauté d’acteurs a eu besoin de se structurer pour s’ancrer dans une dynamique d’espace test, via un modèle classique d’association (président, secrétaire trésorier, CA). Cette forme, temporaire, a évolué au bout de 6 mois pour une gouvernance collégiale (voir les statuts) qui met en pratique des dynamiques d’autogestion. La Myne se revendique comme une espace peu hiérarchisé, le plus horizontal possible. Dans la pratique c’est le conseil collégial de 8-10 membres qui prend les décisions, mais l’idée est d’observer  un roulement « des décideurs ». Parmi les 200 à 300 membres qui composent la MYNE, tous sont invités à venir participer à ce conseil collégial par ailleurs. Par expérience, seulement 2/3 des personnes viennent en plus des membres du conseil collégial. D’autres groupes de travail sont toutefois constitués pour développer les activités de la Myne et travailler de manière autonome sur des propositions. Très vite, se jouent des concentrations d’informations ; or, une gouvernance partagée sans partage de ressources n’est pas envisageable. Il y a donc encore du travail avant d’arriver à une culture collective dans le rapport à l’information. Outre les instances de partage de l’information, La Myne a créé des outils numériques ouverts comme un Wiki où tout est retranscrit.

Créer un cadre de réciprocité pour définir la place de chacun. La communauté garantit un principe d’accueil inconditionnel, chaque personne souhaitant s’investir définit ce qu’elle souhaite/peut apporter comme contribution au collectif et ce qu’elle en attend ; ainsi sont formalisés des engagements communs, les termes/concepts sont discutés pour aboutir à des définitions partagées. L’accueil et la conciergerie ne sont pas institués, mais s’exercent de façon tournante par les membres de la communauté, impliquant une posture d‘écoute et d’accueil.

Préserver et étendre ce cadre. Ces derniers temps, le collectif cherche à se prémunir et à lutter contre l’épuisement associatif et autres phénomènes de burn-outs au sein de structures qui se veulent pourtant saines et solidaires. On tend alors vers une redéfinition des rythmes de travail pour mieux prendre soin des personnes et protéger ce cadre et cette philosophie originels. Ce que doit faciliter La Myne avant tout, c’est l’accueil et la capacité à faire chemin et à maîtriser son parcours professionnel. Dans un même souci de préservation des ressources, qu’elles soient matérielles ou humaines, La Myne entre donc dans une dynamique de budget décroissant. Enfin, un dernier défi reste à surmonter : La Myne rassemble avant tout des individus qui ne sont pas issus du QPV au sein duquel elle est implantée. Il n’y a jamais eu de personnes ou d’acteurs du quartier insérées au sein de l’association et s’y inscrire demeure difficile.

Quelques ressources par ici : https://www.lamyne.org/documentation/
Les activités de la Myne : https://movilab.org/wiki/La_Myne/2#L.E2.80.99association
La Myne par ses contributeurs pendant la crise sanitaire de 2020 : https://cloud.lamyne.org/s/3JeZtZeRB2ybDH4

Un objet mystérieux tout de bois vêtu fait depuis quelques semaines l’objet de convoitises chez les Sevranais (du moins, le cercle restreint de ceux qui ont suivi de près sa création). Inauguré lors d’une belle journée de septembre, il répond pour l’instant au nom de « café mobile » (on vous détaille son processus de création par ici). Oui mais maintenant, qu’en fait-on ?

En voilà une bonne question ! Suite à plusieurs sollicitations concernant son emprunt, nous avons animé un atelier pour dessiner un scénario d’usage du café mobile, permettant au collectif de d’acteurs embarqués depuis quelques temps dans la démarche d’imaginer des modalités de gestion. Et puis, ne serait-il pas fort regrettable que ce café mobile soit condamné à prendre la poussière dans un placard en attendant sa future place de choix dans le tiers-lieu ?

 

 

Mais oui Yvette, c’est un crash test ! Le café mobile est fait pour expérimenter, pour réussir et aussi apprendre de ses erreurs, et essuyer les pots cassés de la gestion partagée. Donc advienne que pourra !

Un parcours utilisateur, de quoi parle-t-on ?

 

Le parcours utilisateur est un super outil de design, qui permet de tracer le parcours-type d’un usager en s’interrogeant sur chacune de ses étapes pour rendre l’expérience la plus agréable, fluide et accessible. En faisant émerger les outils nécessaires et adaptés pour surmonter les obstacles rencontrés, le groupe co-construit les modalités d’usage du café mobile. Pour appréhender la gestion, le parcours utilisateur commence du besoin de réservation à son retour au lieu de stockage, en passant par toutes les problématiques que peut rencontrer un usager entre les deux étapes.

En guise de persona-utilisateur, on s’inspire directement de nos cobayes préférés (les participants) et on part de leurs besoins et questions pour définir ensemble une trajectoire d’utilisation. Nous partons par exemple du cas très concret du directeur du CCAS et des Solidarités de la ville, qui annonce vouloir emprunter le café mobile en décembre, pour une distribution de colis festifs pour les seniors, à la salle des fêtes du centre-ville.

En filigrane se dessine la gestion de cet ovni ambulant, qui fait parler les plus curieux.

À chaque situation une proposition … ou presque !

En cheminant dans le parcours utilisateur, nous tachons de poser des situations qui appellent la mise en place d’outils, quand celles-ci ne sont pas devancées par les interrogations du collectif.

En amont, la réservation

Pas question ici d’emprunter le café mobile comme bon vous semble ! Afin de garantir sa bonne gestion et son usage partagé, il faut des règles, non pas pour contraindre, mais pour sécuriser l’emprunt (et par conséquent la personne emprunteuse également). 

Comment réserver : Le collectif s’est mis d’accord sur la nécessité de mettre en place un planning partagé (un document en ligne par exemple), et d’identifier un référent qui puisse faire le relais pour les personnes peu à l’aise avec le numérique.

Pour éviter l’accaparement du café mobile, les participants ont proposé un système d’inscription, ouvrant le droit à un crédit de demi-journées, mais conditionné par la signature d’une Charte, qui a la vertu de responsabiliser la personne et garantir son engagement (autrement dit, ça limite le risque qu’elle fasse n’importe quoi). Il faut que l’emprunteur et son action portent des valeurs partagées par l’esprit du tiers-lieu et du café mobile (attention ça devient un peu métaphysique), et inscrites dans ladite Charte.

Comment arbitrer entre une activité ponctuelle et une activité plus régulière qui se télescopent pour l’emprunt du café ? Un planning courant sur 3 mois permet d’organiser les réservations, tout offrant la possibilité à de nouveaux usagers de se faire une place.

…Mais qui peut réserver ?

Bon bah comme ça au moins c’est clair ! Dans un premier temps en tous cas, l’emprunt à titre individuel est plutôt perçu comme une crainte pour le collectif. Peut-être que cette position évoluera. Cela dit, rappelons nous qu’un commun diffère d’un bien public (c’est la communauté qui définie ses propres règles et les ayants droits au commun). 

Le jour J, un emprunt serein et sans pépin

C’est bien joli tout ça, mais comment ça marche au juste ? Le carnet de vie du café mobile a été imaginé pour aider les utilisateurs à appréhender ce gros bébé : un mode d’emploi, racontant l’histoire du café mobile et comprenant une notice d’utilisation.  Un kit avec le nécessaire pour faire de l’affichage sur les paravents et faire du bricolage de dépannage si besoin. De quoi garantir un emprunt en toute sérénité !

Les petits accros ça arrive, et ce n’est pas bien grave. Mais afin d’offrir à ce café mobile tout le bichonnage et l’attention qu’il mérite, une fiche état des lieux, à remplir avant et après utilisation permet de facilement repérer les petites interventions à effectuer pour le réparer.

L’emprunt est un premier pas dans l’aventure collective…

… Autrement dit, pouvoir en bénéficier de temps en temps, gracieusement et selon les modalités définies par le collectif, cela nécessite en revanche de donner un coup de main quand il faut faire le grand ménage de printemps, ou le ravalement de façade d’un café mobile un peu défraîchi. Et si l’entretien requiert l’achat de matériel spécifique, les participants proposent de réaliser des évènements communs pour financer les réparations.

Les sujets chauds bouillants

La définition de la charte : l’emprunt du café mobile est conditionné par l’adhésion à une charte, qu’il faut donc rédiger. Nous ressortons de cette atelier avec un de ces articles : pas d’alcool dans le café mobile ! Pour éviter tous les embarras et complexifications administratives liées aux licences (et puis sans alcool, la fête est plus folle). Outre les valeurs, elle définira aussi des éléments pratiques comme le périmètre d’emprunt, le droit ou non de l’emmener au delà du quartier, le nombre de crédits de demi-journées etc… 

L’assurance : pour les participants, il faut une assurance pour assurer le café et rassurer les emprunteurs assurés d’être couverts. Si les petits pépins sont plutôt gérables au cas par cas, la question de l’assurance pour les dommages plus conséquents se pose : le tiers-lieu aura-t-il une assurance qui couvre le café ? La responsabilité civile individuelle des personnes fonctionne-t-elle pour l’emprunt du café mobile ? Oui, mais s’il est emprunté au nom d’une structure et non à titre individuel ? Pour l’instant, la question est en suspens ! En parallèle se pose la question de qui est propriétaire de l’objet. L’heureux élu pourrait alors assurer le café mobile, mais pour l’instant pas de volontaire téméraire parmi les participants…

Le coordinateur du tiers-lieu : Il est vite apparu que la personne qui sera en charge de la coordination du tiers-lieu fasse office de référent naturel pour le café mobile, principalement car elle sera en charge de la gestion du quotidien et sera présente sur place. Ce coordinateur aura donc besoin d’avoir plusieurs cordes à son arc (un véritable couteau suisse) :  déjà très sollicité alors qu’il n’est pas encore là. En attendant de trouver la perle rare, il est difficile pour les acteurs engagés dans les ateliers de porter la charge mentale de cet objet et de sa gestion, chacun étant occupé par ses activités par ailleurs. Au delà de la gestion du café mobile, c’est toute la dynamique de groupe qui méritait d’être fortifiée et maintenue par ce coordinateur. Ce coordinateur est donc plus attendu que le père noël !

Dans un registre plus léger, mais qui mérite d’être mentionné, il est aussi question du petit nom du café ! Depuis le début on parle du « café mobile », mais est-ce vraiment parlant pour quelqu’un qui n’aurait pas suivi la démarche ? Selon une de nos participants, avec cette appellation « on ne voit pas trop ce qu’on peut faire avec ». Et puis, c’est un café qui n’a de café que le nom (pas de cafetière ou de prises prévues, juste de quoi accueillir les thermos), et qui peut servir de support à de nombreuses activités. Alors en attendant c’est le remue-méninge pour trouver un nom sympa et percutant qui fera la fierté du quartier (on l’espère).

Au delà du café mobile : penser la gestion du tiers-lieu

Nous vous avions déjà exposé dans par ici le fait que l’expérimentation du café mobile n’était pas anodine dans le cheminement de réflexion vers la gestion du tiers-lieu. Beaucoup de questions soulevées aujourd’hui pour cet objet sont toutes aussi pertinentes pour penser la gestion future du lieu commun : comment définir ensemble des règles d’usage ? Qui a les clefs ?

On utilise parfois l’image de l’objet totem pour parler du café mobile : cela fait un an que nous travaillons à l’émergence d’un collectif qui puisse porter la démarche de gestion collective du tiers-lieu. Si l’on reprend le triptyque élaboré par Ostrom sur les biens communs : pour que commun il ait, il faut une communauté d’acteurs, une ressource, et des règles d’usage (de la ressource, définies par la communauté elle-même). A défaut de pouvoir compter sur ces trois piliers, notre trépied est un peu bancale : la ressource n’est pour l’instant qu’une hypothèse peu concrète pour les acteurs du territoire car elle n’existe pas, donc difficile d’anticiper les règles d’usage … Le tout est un peu fictif, on nous l’a d’ailleurs fait remarquer à plusieurs reprises  « on ne sait pas trop où on va, on manque de vision ». Avec le café mobile se présente alors l’opportunité d’avoir une ressource commune, à gérer collectivement, et donc de pimenter la démarche du grain de concret qu’il nous manquait tant. 

Le triptyque des communs d’E.Ostrom

La bonne nouvelle c’est que la dynamique collective commence à prendre : lors de cet atelier sur la gestion du café mobile, on a pu entendre des « nous tous ensemble », « nous sommes un collectif », « on pourrait faire des actions communes », et l’on observe des participants qui ont plaisir à se retrouver aux ateliers, dans une ambiance détendue qui n’était pas forcément celle des débuts. Alors nous cheminons pas à pas.

Lors d’un prochain atelier, la réflexion autour café mobile servira de tremplin à des hypothèses de gestion et de gouvernance du tiers-lieu … on entre dans le vif du sujet !

 

Et Alice Collet ainsi que Hélène Gros de l’ANRU

 

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) bénéficiant du NPNRU (450 quartiers sur les 1500 QPV à l’échelle nationale) sont concernés par des projets de renouvellement urbain d’ampleur visant à améliorer le cadre et les conditions de vie des habitants et restaurer l’attractivité des quartiers et de l’offre de logements pour attirer de nouveaux ménages moins précaires et enrayer les effets ségrégatifs dans un objectif de mixité sociale.

Comment, dans ces quartiers concentrant des difficultés urbaines, sociales, sanitaires, économiques et environnementale fortes, génératrices d’inégalités territoriales (enclavement, trames viaires inadaptées, nuisances environnementales, dégradation du bâti et des espaces publics, déficit d’offre de services, difficultés de réussite scolaire, d’insertion professionnelle et d’emploi, pauvreté etc.), créer une dynamique collective impliquant de façon plus active les habitants leurs représentants mis en place dans le cadre des Conseils citoyens, les associations et les acteurs de terrain qui y travaillent au quotidien pour qu’ils se mobilisent dans les projets de renouvellement urbain au même titre que l’ensemble des parties prenantes institutionnelles de ces projets (collectivité porteuse du projet, maîtres d’ouvrage, services de l’Etat local etc.) ? Comment et à quelles conditions maintenir, développer et enrichir les réseaux de sociabilités et les dynamiques de solidarités préexistants, en incluant les nouveaux habitants des programmes de logement, les publics fréquentant les équipements, les actifs travaillant dans les locaux d’activité et plus largement la diversité des usagers du quartier ? Comment distribuer les rôles, partager la décision et la responsabilité, dessiner des modes de gestion plus collectifs, tout en étant respectueux du rôle de chacun ? Comment faire du « commun » dans un quartier en renouvellement pour s’assurer que chacun se sente partie prenante de la transformation à l’œuvre ? Et qu’est ce que la notion de « commun » peut apporter dans la conception et la conduite de cette transformation  ?

Nous engageons avec l’ANRU un programme pour explorer dans quelle mesure les approches de gouvernance partagée inspirées des «communs» offrent des réponses nouvelles aux enjeux spécifiques des QPV en renouvellement urbain. Les modes d’organisation collective inscrits dans le mouvement des partenariats public-communs peuvent-ils inspirer les différentes modalités de pilotage et d’accompagnement des transformations urbaines ? Quels retours d’expériences et outils peuvent nourrir les démarches des porteurs de projets, des maîtres d’ouvrage et des différentes parties prenantes ?

Un cycle de 3 à 4 ateliers nous permettra, au travers d’échanges entre acteurs des quartiers en renouvellement urbain et équipes de l’ANRU, de retours d’expérience, et d’exploration d’outils et cadres (juridiques, financiers, organisationnels,…) expérimentés en France et en Europe, d’enrichir les projets menés par la quinzaine de chef.fe.s de projet renouvellement urbain et membres des équipes ANRU, bailleurs HLM et autres acteurs locaux mobilisés dans ces projets.

Toute petite histoire de la notion…

Pour aborder les communs, un détour par Elinor Ostrom permet d’éclairer la notion. Prix Nobel dʼéconomie en 2009, cette chercheuse américaine montre en effet les failles de la Tragédie des communs décrite par Garrett  Hardin (1968), qui décrit un phénomène collectif de surexploitation collective d’une ressource ; en étudiant des modes d’auto-organisation et d’action collective notamment en Amérique du Sud, elle pose les fondements de sa théorie pour une gestion vertueuse des ressources communes, reposant sur 4 piliers :

  • Une ressource, matérielle (terre, forêt, pêcherie, jardin partagé, espace vacant, etc.) ou immatérielle (production de savoir comme wikipedia ou open food facts, logiciel libre, etc.)
  • Un mode de gestion et dʼorganisation, qui régule lʼusage de cette ressource, permet de résoudre les conflits et décrit la gouvernance de celle-ci ;
  • Une communauté d’usagers, en mesure de définir ces règles et de contribuer à cette gestion ;
  • Une visée de préservation (et de non-confiscation de la ressource) ;  qualifier lʼeau de « bien commun » signifie par exemple que sa  distribution, quel que soit lʼacteur qui lʼorganise, doit garantir lʼaccès de tous à  une eau saine et en quantité suffisante.

Cette notion de commun, très ancienne (on peut la dater du Moyen Age avec les pratiques de glanage dans les bois communaux par exemple, ou même en trouver des premières traces dans le code Justinien), connaît une résurgence avec le travail d’Elinor Ostrom. Celle-ci a également donné une grammaire et un étendard à des formes d’auto-organisation et de lutte menées par des communautés très diverses contre la privatisation de ressources (l’eau, des lieux d’intérêt patrimoniaux, etc.), pour l’accès à des ressources de base (logement, alimentation, …), etc. Elle connaît aujourd’hui une nouvelle résurgence en inspirant des acteurs publics, notamment des villes, pour inventer d’autres modalités de coopération avec les acteurs locaux et, par-là, des leviers d’action face à des défis pour lesquels l’acteur public ne peut plus agir seul et doit bâtir de nouvelles alliances : précarisation économique et sociale, crise écologique, défiance vis à vis des institutions démocratiques, etc.

Dans le cadre du programme Enacting the commons, La 27e Région a mené une enquête collective sur ces expérimentations qui, de Bologne à Amsterdam en passant par les banlieues de Manchester ou de Barcelone, se traduisent par de nouveaux outils juridiques, financiers, organisationnels… Il s’agit grâce à ceux-ci : de mieux partager le pouvoir de faire – au travers des pactes de coopération à Bologne par exemple, cadres contractuels légers et flexibles qui réglementent la coopération entre la municipalité et des porteurs d’initiative pour prendre soin des biens communs urbains dans une optique de transparence et de coopération ; d’élargir le cercle des parties prenantes dans la gestion des projets en incluant mieux les habitant.e.s et usagers par exemple – au travers d’initiatives de Parlements de l’eau par exemple, ou bien d’établissements optant pour le statut juridique de SCIC, qui permet aux salarié.e.s, usagers, gestionnaires et à la collectivité de s’impliquer activement dans la gouvernance d’une structure ; de développer de nouveaux leviers de justice sociale – au travers par exemple d’un Community Land trust, qui permet l’accès à la propriété de personnes à faible revenus…

Communs et renouvellement urbain : quesako ?

Si de nombreuses initiatives qui cherchent, en France ou ailleurs, à rebattre ainsi les cartes du partage du pouvoir de faire, de la décision, etc. ne se revendiquent pas nécessairement des communs, adopter une grille de lecture intégrant cette notion permet d’aborder des sujets clés pour la réussite des projets : la gouvernance et le partage de la responsabilité, l’autonomie et l’engagement, les modes de coopération et d’implication, la posture des parties prenantes, etc.

Un premier atelier d’introduction a permis d’échanger avec les équipes de l’ANRU autours de plusieurs projets menés dans des quartiers en renouvellement urbain et participant de telles dynamiques : Le programme Lieu Commun Masaryk à Sevran, en lien avec le bailleur Vilogia, qui cherche à stimuler une manière plus collective d’aborder, dans la durée, la gestion des locaux collectifs résidentiels en rez-de-chaussée d’une résidence sociale ; Le Marché Alternatif de Bellevue à Nantes (MAB), qui mobilise plusieurs associations du quartier et des habitants, soutenus par la ville, organisés pour collecter des invendus alimentaires comestibles puis les mettre gratuitement à la disposition des habitants, permettant aux bénéficiaires de s’impliquer dans la dynamique ;  Les Chantiers ouverts au public à Grenoble, qui offrent un cadre de participation aux habitant.e.s à l’amélioration du cadre de vie, et qui favorisent la réappropriation de l’espace public comme commun urbain.

L’échange a permis de commencer à cerner les enjeux des projets pour lesquels cette grille de lecture des communs peut être éclairante et source d’inspiration  :  Comment mobiliser plus activement les habitant.e.s et maintenir une dynamique dans la durée autour des projets ? Comment prendre en compte la contribution des participant.e.s ? Comment inventer de nouveaux modèles économiques pour des projets de coopération dans les quartiers en renouvellement urbain ? Etc.

Embarquement : Représentations et controverses

Un deuxième atelier nous a permis d’embarquer des chef.fe.s de projet renouvellement urbain d’une dizaine de collectivités (les métropoles d’Aix-Marseille-Provence, de Grenoble, de Nantes, de Nice, de Metz, de Strasbourg, les villes de Grenoble, de Grigny, d’Ivry-sur-Seine…) ainsi que de deux bailleurs HLM et opérateurs fonciers pour explorer plus concrètement leurs enjeux et les dimensions que nous pourrions creuser ensemble.

Un photolangage a d’abord permis aux participant.e.s de choisir partager leurs représentations des communs, définitivement plurielles ! Parmi les exemples évoqués on retrouve : 

– des exemples concrets (jardins partagés, fermes urbaines, communautés de vie, espaces publics collectifs ou ressourceries)

– des enjeux globaux (les communs mondiaux comme le climat, qui révèlent nos vulnérabilités)

– des principes (valeur d’usage des espaces, représentation démocratique, hybridation et réversibilité des espaces, un processus plus qu’un objet)

– et la théoricienne E.Ostrom sur la gestion des communs

Les participant.e.s se sont ensuite glissé.e.s dans la peau d’enquêteur.rice.s et d’enquêté.e.s pour un temps d’enquête croisée. A la lumière des exemples et des enjeux décryptés en amont, ils et elles ont pu prendre le temps d’identifier un projet de leurs territoires qui pourraient faire l’objet d’une programmation, d’une conception, d’une gestion et d’une appropriation partagée. Ici et là, des jardins partagés, des friches, des bâtiments vacants, ou encore des équipements ou espaces publics pourraient être repensés à la lumière des communs.

Les dynamiques de coopérations seraient ainsi des opportunités, notamment pour :  

Remonter des besoins et une expertise d’usage relativement à un projet d’équipement, d’espace public ou à un programme immobilier ;

– Préserver un équipement ou une ressource, assurer la pérennité d’une activité ;

– Se prémunir des mésusages et incivilités par le partage de la responsabilité et l’implication d’une pluralité d’acteurs ;

– Garantir l’accès à des besoins fondamentaux, comme l’alimentation par exemple.

Cependant, la coopération et la volonté d’avoir une diversité de parties prenantes autour de la table questionnent la gouvernance des projets de renouvellement urbain :

– La participation des citoyen.ne.s oscille entre information, concertation et réelle implication. Quelle réelle place donner aux habitant.e.s, sur quels types d’opérations et/ou de dimensions du projet de renouvellement urbain, et comment les mobiliser dans le temps ? Comment les impliquer davantage dans la prise de décision, tout en respectant le nécessaire rôle d’arbitrage du porteur de projet  ?

– Plus largement, comment mobiliser une pluralité d’acteurs, et notamment les acteurs de terrain, les professionnels qui travaillent au quotidien sur le quartier sur la durée autours de projet ? Quid de la coopération avec des collectifs plus informels ? Comment valoriser leur connaissance de la spécificité du contexte et des usages du quartier ? Comment intégrer leurs attentes et leurs besoins dans le cadre du projet ?

– L’absence de cadrage ou de modalités claires d’organisation et de prise de décision pénalise la bonne répartition des rôles et des responsabilités et menace la mise en œuvre, la qualité et la pérennisation du projet. Comment mieux définir et identifier clairement qui fait quoi et qui est responsable de quoi ?

– Des rapports de force et conflits sont parfois palpables entre les acteurs, notamment quand des parties prenantes (notamment concepteur, bureaux d’études etc.) sont extérieures au territoire et doivent justifier auprès des locaux leur légitimité. Comment faire en sorte que ces nouvelles parties prenantes s’appuient les ressources locales ? Par ailleurs, la posture adoptée par les acteurs publics (collectivité, Etat local, maître d’ouvrage etc.) peut être surplombante, avec un souhait de garder la main, car ils pilotent, accompagnent et financent le projet, et en sont à l’initiative. Les Copil, Cotech… sont encore trop souvent majoritairement réservés aux acteurs institutionnels, malgré les évolutions apportées par les réformes de la politique de la ville (création des conseils citoyens associés aux instances de pilotage et mise en œuvre du contrat de ville). Comment poser les bases d’une gouvernance ouverte et vivante ? Comment impliquer de manière concrète les habitants dans les instances de pilotage et de mise en œuvre des projet  ? Quel peut être leur rôle ? Comment valoriser leur expertise d’usage ?

– La question de la formation, valorisation/rémunération des personnes contributrices est assez peu abordée. Comment sécuriser l’intervention des habitants, quelle reconnaissance de la contribution des participants ?

– Quels montages juridiques et financiers pour garantir la pérennité d’un projet collectif ?

Ce temps d’enquête a ainsi permis de cerner les sujets que nous pourrons explorer dans les prochains ateliers, notamment en collectant des retours d’expériences, et en créant des ressources partagées (outils, cartographies, acteurs ressources…). A suivre !

Pour arriver jusqu’à un café mobile rutilant, il faut remonter quelques mois plus tôt, début décembre 2021, lors d’un atelier collectif d’émergence d’idées. Les participant.es étaient invité.es à imaginer des activités à mettre en place avant la livraison du lieu commun, en guise d’expérimentations, pour commencer à insuffler coopération et dynamique collective (ces activités devaient en effet être portées par au moins 2 acteurs de structures différentes). Dans cette profusion d’idées, certaines ont été approfondies, d’autres se sont concrétisées, et quelques unes ont encore besoin d’un peu de temps, et trouveront peut-être l’opportunité de leur épanouissement dans le futur lieu commun.

Les compagnons Bâtisseurs – les bricoleurs du collectif – ont alors soumis au groupe la création d’un café mobile : un stand sur roulettes qui pourrait faire l’objet de nombreux usages (kiosque, atelier cuisine, café à thème, moment convivial entre habitant.es… les possibilités semblent infinies). Appuyés par Compétences Emploi pour la mobilisation de participant.es, les Compagnons Bâtisseurs ont animé un atelier de co-conception avec le collectif, puis 3 semaines de chantier participatif entre juillet et mi-septembre à destination des habitant.es du quartier. Retour en mots et en images sur la concrétisation de cette expérimentation !

Co-construire un objet commun

© Compagnons Bâtisseurs

Le café mobile est une création collective. Les Compagnons Bâtisseurs ont animé un atelier de co-conception qui a suscité l’engouement du collectif, les participants étaient nombreux ! Ensemble, ils ont pu identifier les usages qu’ils projetaient sur cet objet, et par conséquent les besoins inhérents (c’est à ce moment qu’ont par exemple été pensés les paravents pour créer des espaces d’intimité). Des petites briques de construction ont permis de penser le volume et l’espace nécessaire. Les considérations esthétiques du café mobile n’ont pas été oubliées : de la couleur aux choix des matériaux, ces détails sont passés par des choix collectifs.

La construction du café mobile en chantier pédagogique : la difficile mobilisation des habitants du quartier

Pour construire le café mobile, les Compagnons Bâtisseurs ont animé un chantier pédagogique destiné à un public de jeunes et adultes, qui auraient envie de découvrir le maniement des outils et approcher la construction pendant 2 semaines et demi. Malheureusement, la proposition n’a pas suscité l’adhésion espérée. Quelques petits couacs de coordination entre les acteurs n’ont pas facilité la tâche, les départs en vacances des habitant.es du quartier non plus. Et puis un élément a indéniablement joué en notre défaveur : la canicule de juillet. Près de 40°C à l’ombre … Qui aurait envie de faire vibrer le scie à bois sous un soleil de plomb ? Les Compagnons Bâtisseurs (et leur énergie à toute épreuve) ont tout de même commencé la construction, aux pieds de la résidence Masaryk. Un nouveau rendez-vous est pris pour 3 jours de chantier mi-septembre, nouvelle opportunité pour les habitant.es de participer, pour des travaux plus simples de finition cette fois-ci. La présence quotidienne des Compagnons Bâtisseurs dans le paysage de Masaryk pendant plusieurs dizaines de jours a tout de même permis de faire connaître leur activité et leur association auprès des passant.es et résident.es.

On ne va pas vous le cacher, nous aurions espéré plus de participation à cette expérimentation. Cela nous a questionné sur la manière de solliciter les habitant.es, jusqu’ici plutôt absents de la démarche. Malgré de la bonne volonté, le porte à porte pour les mobiliser, ou encore nos outils de communication pour les tenir informés au fil de l’eau de l’avancée de la démarche (cartes postales et gazettes), cela n’aura jamais la portée d’une présence quotidienne sur le terrain, d’un réseau de relations bâti depuis plusieurs années. C’est là où les acteurs au plus près des habitant.es, telle que l’Amicale des locataires, ont un rôle indispensable à jouer pour faire le lien avec le projet, en usant de leur capital-confiance, qui suscitera davantage l’adhésion qu’une bande d’inconnu.es, qui malgré leurs bonnes intentions, viennent toquer à la porte (« Toc toc toc, Bonjour ! Il y aura un chantier participatif pendant 3 jours en pleine journée, venez ça va être chouette. Au revoir »), et disparaissent 1min30 plus tard.

Pour connaître les acteurs à solliciter et se faire des « allié.es » sur le terrain, une enquête préalable est salutaire afin d’avoir une bonne cartographie d’un territoire. À Masaryk, entre mai et septembre 2021, une enquête participative a été réalisée par des binômes 27e Région-Vilogia, parfois par un trinôme 27e Région-Vilogia-Ville de Sevran. A défaut d’être immergés au sein d’un quartier, les savoir-faire des acteurs locaux seront utiles tout au long du processus. Ces acteurs sont par exemple les maisons de quartier, les Amicales de locataires, les chargé.es de gestion urbaine de proximité, les commerce de quartier, les missions locales, un.e habitant.e … À la suite de l’enquête, nous avions compris que la Présidente de l’Amicale des locataires de la résidence Masaryk était une figure importante du quartier. Forte tête, c’est une personne qui aime se sentir utile et qui a besoin de faire des choses. Pour l’inauguration, elle a mis à disposition du matériel : tables, nappes, matériel de transport. Sa grande proximité avec l’association de quartier Potenti’elles Cité a permis que celle-ci prépare le buffet. Et son ancrage au sein de la ville de Sevran (elle habite la résidence Masaryk depuis les années 70) en fait une personne qui compte et qui est capable de faire venir des élu.es.
De même, l’enquête a permis de mettre en lumière le travail réalisé par la directrice de la maison de quartier E. Michelet. Elle a mis en place notamment des veilles sociales, outil de partage d’informations entre différentes institutions : bailleurs sociaux ; centres sociaux, CCAS, associations locales, clubs de prévention… La maison de quartier est devenue un soutien important de la démarche du tiers-lieu en accueillant certains ateliers, en faisant des campagnes d’affichage notamment pour l’inauguration du café et en nous proposant de nous inclure dans le dispositif de veille sociale.

Le temps de la fête : célébrer la fin du chantier autour d’un moment convivial

Mi septembre, la structure du café mobile est prête ! Il manque quelques détails, des finissions à faire comme ajouter le toit et réaliser la peinture, mais le principal est là pour accueillir l’inauguration du café mobile. Cette inauguration illustre une réussite collective : entre le soutien de l’Amicale des locataires qui est un relais primordial dans la résidence, le travail des Compagnons Bâtisseurs, et la réalisation du buffet par l’association Potenti’elles cité. Le pied de la résidence Masaryk s’anime, de partenaires, de participants aux ateliers fidèles, et d’habitant.es curieux.ses de voir de l’animation en bas de chez eux. En plus de profiter joyeusement de ce moment convivial pour faire connaissance, nous avions prévu un affichage qui présentait les différents ateliers et le fruit de nos réflexions collectives, nous permettant ainsi de faire de la médiation  autour du projet de tiers-lieu et du travail sur une gouvernance d’un nouveau genre. « C’est bien, ça va apporter une nouvelle dynamique au quartier » ; « c’est super s’il y a un lieu pour les jeunes, car pour le moment il n’y a pas grand chose », « oh ce sera super », « et comment on fait pour emprunter le café mobile ? ».  On peut le dire, cette inauguration a été une réussite ! Ne jamais négliger les moments de célébration, qui ravivent la dynamique collective et renforcent la conviction qu’il s’invente quelque chose de stimulant.

Et la suite ? Un atelier pour imaginer la gestion collective de cet objet totem !

Et maintenant ? Comment faire quand on souhaite emprunter le café mobile ? Car bien entendu, l’objectif n’est pas de le laisser prendre la poussière pendant 1 an ! Cet objet, c’est une incarnation du lieu commun en construction, un objet collectif dont il faut maintenant définir les règles de gestion et d’usage. Cela peut paraître parfois un peu stratosphérique de parler de règles d’usages et de gouvernance d’un lieu qui n’existe pas encore (oui, on parle bien du tiers-lieu de la résidence Masaryk). Alors ce café mobile est une occasion de projeter des mécanismes concrets de gestion, de règles collectives, pour appréhender en douceur les futurs questionnements du collectif. Et devant les sollicitations de certains membres du collectif, nous devons maintenant nous atteler à définir cette gestion ! La suite (très rapidement) au prochain épisode car les premières demandent d’emprunt sont déjà là…

Si la dynamique collective était une mayonnaise … (ou les enseignements que nous retenons de cette expérimentation).

Si la dynamique collective était une mayonnaise, il faudrait un bon liant pour faire s’agréger les ingrédients. Et ce liant c’est … l’interconnaissance, point de départ d’une relation de confiance. Sans trop rentrer dans les détails, nous avons évoqué des petits couacs de coordination entre les structures porteuses de cette expérimentation. À La 27e Région, nous avions souhaité nous mettre en retrait de l’organisation, pour observer quelle(s) coopération(s) pouvai(en)t se mettre en place entre les acteurs. Peut-être par manque de clarté de notre part, il n’y avait pas de référent/chef d’expérimentation clairement identifié pour le café mobile. Chacun étant par ailleurs mobilisé par ses préoccupations quotidiennes, cela a pu nuire quelque peu à la dynamique collective (pour filer la métaphore, sans un bon coup de main pour faire monter la mayonnaise, elle finit par retomber…). Avec les quelques ateliers que nous avons menés jusqu’à maintenant, les structures qui n’étaient pas forcément familières les unes des autres ont pu commencer à s’apprivoiser. Mais la confiance ne suffit pas. Quand on travaille sur des projets multi-acteurs, la fonction de coordination est aussi un élément à ne pas négliger. A Masaryk, le recrutement de jeunes pour participer au chantier (qui se déroulait pendant les vacances scolaires) a souffert d’un manque de coordination. La 27e Région aurait peut-être dû incarner ce rôle, toujours est-il que la question du recrutement d’un coordinateur apparaît comme d’autant plus essentielle dans un avenir proche (avant même la livraison du lieu) pour maintenir la dynamique.

Une bonne mayonnaise, ce n’est pas la plus simple à réaliser en cuisine. Il faut exercer son coup de main, et c’est là que les expérimentations, en sécurisant l’essai-erreur, sont des bancs d’essai avant d’obtenir une recette inégalable.

Dans l’histoire du Lieu Commun Masaryk que nous sommes en train d’écrire, il y a, en toile de fond, la démarche « quartier inclusif” portée par le département de Seine-Saint-Denis, dans laquelle le territoire sevranais est fortement engagée, et qui corrobore la volonté du bailleur social Vilogia d’adresser les problématiques de vieillissement et d’autonomie dans ses résidences. 

Ces préoccupations communes ont trouvé un terrain d’entente et d’expérimentation dans la résidence Masaryk, et plus particulièrement dans ses anciens Locaux Collectifs Résidentiels dont la gestion est à réinterroger et à réinventer. En remportant l’appel à manifestation d’intérêt Tiers-lieux « Autonomie dans mon quartier » porté par le département, le bailleur porte l’ambition de faire des espaces vacants en rez-de-chaussée de la résidence Masaryk un lieu intergénérationnel, de lutte contre l’isolement, accessible à toutes et tous quelque soit son âge, son handicap, et son degré d’autonomie. Il soutient ainsi une politique publique et s’inscrit dans un réseau de 25 tiers-lieux qui proposeront des services pour tous les publics (professionnels, habitants) sur des questions liées à la perte d’autonomie (prévention, accessibilité…).

Pour nous aiguiller dans cette réflexion, Marie Venot, fondatrice de Villanthrope et ergothérapeute de profession, est venue animer un atelier sur l’accessibilité des activités pour tous auprès des partenaires du quartier.

Mais dans quelle société vivons-nous ? 

En guise d’introduction, Marie nous distribue des boutons … pourtant, pas d’atelier couture en ligne de mire mais une réflexion ludique sur l’organisation des groupes sociaux dans notre société. L’objectif est de faire appréhender aux participant.e.s la différence entre 3 modèles de société : la société exclusive, opposée à la société inclusive, celle-ci même que l’on confond parfois avec la société intégrative… 

  • Une société exclusive se caractérise par une forte homogénéité de ses habitants, et une ségrégation tant spatiale que sociale d’une autre communauté. 

  • Une société intégrative a élargi son cercle à l’accueil d’autres groupes, sans pour autant que ces derniers se mélangent et partagent plus que de simples rencontres. 

  • Une société inclusive est transformative, elle produit un nouveau système avec de nouvelles règles, de nouvelles envies : elle est l’œuvre des membres qui la composent. 

La société inclusive est donc un idéal vers lequel il faut tendre ! A l’échelle du tiers-lieu, le collectif a à cœur d’en faire un lieu où chacun.e, quelles que soient ses différences, pourra participer à l’ensemble des activités proposées. Marie est là pour donner du sens à l’accessibilité universelle et donner les clefs pour accueillir un public âgé et handicapé, en garantissant leur participation de. Vous le verrez, avec un peu de remue-méninge collectif et de compréhension des enjeux, nous pouvons toutes et tous trouver des solutions créatives sur le sujet !

Ayez le réflexe du pictogramme !

Il existe six types de handicaps définis en France, avec chacun un pictogramme. Ils indiquent aussi la présence de dispositifs spécifiques pour l’accès aux espaces, l’adaptation de la communication ou d’évènements.

Handicap moteur (incluant les personnes âgées en déambulateur)
Malentendance
Handicap visuel (malvoyance et non voyance)
Surdité
Déficience intellectuelle
Handicap psychique
Penser l’autonomie 

Les personnes âgées et/ou handicapées ne sont pas fragiles, mais fragilisées par la société” affirme Marie. Garantir leur participation, en veillant à ce qu’elles puissent conserver un fort degré d’autonomie est un facteur d’inclusivité. De plus, 10% de la population française est en situation de handicap, sans oublier que certains handicaps sont invisibles et sans compter les personnes âgées en situation de handicap (lié au vieillissement physiologique)… il est donc primordial d’adapter nos pratiques pour qu’il n’y ait pas d’obstacle à leur participation autonome.

L’accessibilité universelle, de quoi parle-t-on ? L’accessibilité universelle correspond à un environnement (physique et/ou humain), à une activité permettant un usage identique, autonome et simultané par tous les citoyen.nes, quelles que soient leurs différences.

Dans le cadre de cet atelier, les participant.es ont été répartis en trois groupes, chacun avec une activité à concevoir et à animer. Pour faciliter la réflexion collective sur les moyens à mettre en œuvre pour garantir l’accessibilité de l’activité à toutes et tous, 5 personnages fictifs ont accompagné l’après-midi.

  • Un atelier cuisine pour toutes et tous, dans une espace bien appréhendé (via des visites du lieu), permettant une évolution des participant.es en toute sécurité, et proposant des ustensils adaptés pouvant être maniés de manière autonome.     
  • Une épicerie sociale,solidaire, … et inclusive, où la déambulation est facilitée, le rayonnage agencé pour accueillir tous les publics.
  • Un petit-déjeuner vecteur de lien social, avec une communication détaillée et des informations précises, quelques trucs & astuces et termes de mobilier et d’accessoire, et des bénévoles sensibilisés pour accueillir au mieux les personnes en situation de handicap.
Après les boutons, quelques billes pour penser l’accessibilité : 

Pour clôturer l’après-midi, Marie nous a donné quelques ressources (souvent peu coûteuses) pour adapter des activités à un public varié, et permettre aux personnes âgées ou en situation de handicap d’être accueillies dans des conditions confortables ne les mettant pas en difficulté : 

  • Une boucle magnétique pour les personnes malentendantes
  • Interprétariat en langue des signes
  • Le guide “vivre ensemble avec ou sans handicap”
  • Penser aux pictogrammes pour indiquer de l’inclusivité d’évènements. 
  • Bien communiquer : avec lieu, horaire, et moyen d’accès à des évènements. 
  • Prendre le réflexe de sous-titrer les vidéos.
  • Revoir la taille/hauteur des guichets d’accueil
  • Prendre en compte l’aire de giration d’un fauteuil dans l’espace
  • Proposer des livres audio ou gros caractères comme alternatives aux livres classiques.

 

Ce que l’on en retient 

 

C’est assez facile de se penser inclusif.ve, mais dans les faits, sans une sensibilisation aux enjeux liés aux handicaps et à l’accessibilité, difficile d’appréhender complètement cette question de l’autonomie. Être inclusif n’est pas qu’une posture : cela se pense, demande des petits efforts et réflexes, mais toute activité peut être adaptée pour les personnes âgées et les personnes handicapées. 

Parmi les 3 activités que nous avons explorées collectivement lors de cet atelier avec Marie, nous avons dégagé des enjeux communs à différents handicaps : pouvoir se mouvoir, être dans un environnement rassurant, avoir à disposition des objets et du matériel adapté pour ne pas être dépendant d’un.e aidant.e. Et puis, sensibiliser et former à ce sujet de l’accessibilité universelle, trop facilement limité à des normes PMR peu exhaustives et inclusives.

De notre côté, cet atelier a fait germer tout un tas d’interrogations qu’il s’agira d’adresser collectivement : comment faire dialoguer différentes politiques publiques présentes au sein du tiers-lieu : alimentation et inclusion pour ne citer qu’un exemple ? Et comment donner écho à l’inclusion dans les différentes activités proposées ? L’inclusion peut-il devenir un fil rouge qui nourrit de possibles collaborations ? L’autonomie et l’inclusion sont-elles des communs ? Comment cela se traduira-t-il dans la vision commune et dans la gouvernance du lieu ? Quelles répercussions pour l’action publique, nous pensons notamment à l’épicerie sociale et solidaire portée par le CCAS de Sevran et intégrée au sein du tiers-lieu ? Ces enjeux seront abordés dans les prochains ateliers collectifs qui auront lieu à partir de septembre. Il y a du pain sur la planche !

 

Depuis quelques mois maintenant, nous faisons le pari – avec nos partenaires Vilogia, la Ville de Sevran et CDC Habitat – que la réponse la plus adaptée au Local Collectif Résidentiel de la résidence Masaryk à Sevran sera la gestion en commun de cette ressource qu’est le futur tiers-lieu orienté vers l’inclusion et l’autonomie.

Une gestion partagée entre une communauté d’acteurs – publics, associatifs, privés, habitant.e.s – réunis autour de la conviction que le collectif est un levier pertinent pour repenser nos manières de faire société et d’animer durablement un lieu. C’est vers ce nouveau modèle d’organisation et de coopération que l’on souhaite tendre, et vers lequel notre expérimentation nous conduira, on l’espère.

Parfois, la communauté d’acteurs est préexistante et dessine par sa dynamique ce qui constitue le commun. Dans d’autres cas – et c’est notre cas ici à Sevran – il faut partir de zéro et oser rêver à ce futur commun.

Sans prétendre décrire  une méthodologie exhaustive ou prête à l’emploi, nous vous partageons les débuts de notre aventure, les outils que nous avons utilisés, les premiers enseignements que nous tirons de cette expérimentation, et les ingrédients qui nous paraissent nécessaires, dans le contexte qui est le nôtre, pour permettre à la communauté d’émerger.

Rien ne sert de courir, il faut savoir partir à point…

Et oui, une communauté, ça ne se crée pas en un claquement de doigts. C’est un travail de long cours, peut-être jamais achevé d’ailleurs, en perpétuelle construction. 

Il faut laisser le temps aux individus de tisser des liens solides. Alors nous, à La 27e région, pour faciliter la démarche sans l’imposer, nous pouvons simplement offrir un cadre favorable à l’épanouissement des affinités et inviter à rêver en commun. 

Après avoir rencontré individuellement les futurs acteurs du lieu, nous les avons réunis autour d’ateliers collectifs. 

Nous avons dédié le premier atelier à l’interconnaissance. Après un petit rappel de l’objectif de l’atelier et du projet dans son ensemble, nous avons constitué des binômes (qui devaient se retrouver en emboitant 2 pièces de puzzle), offrant ainsi un cadre plus intime de discussion, et moins impressionnant pour les plus timides d’entre nous. Après 15min d’échange personnalisé, chacun faisait la présentation de son binôme et exposait ses motivations et envies. Et pour ne pas laisser s’échapper dans les airs ces envies si précieuses, nous les avons inscrites dans une grande marmite dont elles constituaient les ingrédients indispensables à la réussite de notre recette de bien commun. 

Avez-vous lu dans votre tendre enfance La soupe au caillou ? (Sinon, il n’est jamais trop tard, faites-en votre prochain livre de chevet ou improvisez une séance visionnage avec ou sans vos enfants). 

Et toi, tu penses à quoi quand on te parle de vie en collectivité ? On a tous vécu des petites expériences qui nous font adorer (ou parfois moins) la vie avec les autres. De votre coloc qui ne fait jamais le ménage à de très beaux moments de vie en famille ou entre amis, parfois il suffit de petits détails pour rendre une situation mal embarquée un peu plus sympathique. Alors pour poursuivre le premier atelier, nous avons fait deux groupes et invité les participant.e.s à partager des anecdotes de vie collective. Au-delà de permettre aux acteurs de mettre des mots sur des principes clefs de coopération comme l’organisation, la communication, l’existence de règles collectives, nous avons passé un bon moment de partage, ponctué de rires bienveillants. 

Truc et astuce : n’hésitez pas à prévoir un espace buvette, et ne pas sous-estimer les échanges informels qui se créent autour d’un café. 

Pour clôturer le premier atelier, nous sommes allés visiter le futur lieu commun de la résidence Masaryk … enfin, voir à quoi cela ressemble actuellement avant les travaux. Car pour l’instant, pas facile de se projeter (pour l’instant ce sont d’anciennes caves actuellement murées). Mais cette visite collective – sous un beau soleil d’octobre – a facilité des discussions spontanées, et en a fait sourire plus d’un par notre exploration dans la pénombre des caves, armés de nos portables comme lampe torche. 

Lors du deuxième atelier, des nouvelles têtes nous ont rejoint, alors on ne néglige pas un nouveau tour de table pour que chacun puisse se présenter et présenter sa structure. 

Agir collectif, élémentaire mon cher Watson !

Alors que chemin faisant, au gré des rencontres, les premiers liens d’une communauté d’acteurs sont en train de se tisser, nous essayons de faire émerger des pratiques de gouvernance partagée et de gestion en commun au fil de l’eau, afin de commencer à réfléchir à certains mécanismes fondamentaux de la coopération. 

Grand plongeon dans les eaux de la prise de décision en collectif lors du deuxième atelier. Pour cela on enfile les brassards décomplexants que sont l’amusement et le jeu, et on démarre par un brise-glace (une technique d’animation qui permet de mettre le groupe à l’aise grâce à un petit jeu ou une mise en situation). Projetés dans une situation fictive de fin du monde, les groupes devaient décider collectivement qui, parmi une vingtaine de personnages atypiques, méritaient d’être sauvés. Il n’a pas toujours été simple de se mettre d’accord, surtout dans un temps imparti. La restitution a montré que l’île isolée avait plutôt l’air d’un archipel … mais au fond, peu importe la composition de l’île, ni que tous les groupes n’aient pas les mêmes. Se sont esquissées différentes modalités de prise de décisions en collectif : débats, votes, consentement pour arbitrer les propositions divergentes, discussions sur le fond et recherche de cohérence de peuplement de l’île (en termes de parité, d’âges, d’utilité et de diversité). Une belle approche pour réfléchir plus globalement sur la prise de décision en commun, en donnant de l’importance à l’opinion de chacun. 

Rêver collectif, tout aussi élémentaire mon cher Watson ! Nous sommes repartis des futurs usages et activités projetés dans le lieu lors de la phase d’enquête pour débrider les imaginations et inventer des activités à tester dès l’année 2022, avant même la livraison du lieu commun. Les participant.e.s étaient réparti.e.s en 3 groupes avec des « fiches activités » à remplir et quelques impératifs tels que l’implication des habitant.e.s, ou la définition d’une temporalité. Avec les envies et aspirations de chacun.e, une belle panoplie d’activités s’est constituée. Certaines ont été discutées collectivement, d’autres fusionnées. C’était foisonnant ! 

Chaque participant.e était ensuite invité.e à prendre du recul sur les diverses propositions, et se positionner s’il ou elle le souhaitait selon 3 niveaux d’implication : j’organise, je donne un coup de main, ou je participe. La 27e Régione a ajouté son grain de sel en donnant la contrainte que chaque activité soit portée par au moins 2 organisatrices ou organisateurs de structures différentes (le travail collectif est un excellent exhausteur de goût !). 

Finalement, ce sont 10 activités qui ont émergé et seront travaillées pour être testées en 2022. De belles perspectives pour le collectif.

Mettre en place des vecteurs de communication

La 27e région a souhaité au plus vite ouvrir la possibilité aux futurs acteurs du lieu d’échanger de manière plus spontanée et simplifiée. Pour l’instant, comme ce sont encore les débuts, on essaie d’alimenter la dynamique, et on veille à communiquer aux différents partenaires et parties prenantes les étapes du projets, en rappelant que ce dernier est ouvert au quidam intéressé. 

En interne au collectif, nous utilisons à la fois une liste de diffusion par mail (le moyen le plus inclusif) et un groupe whatsapp, qui a l’avantage de donner un peu plus de matérialité au groupe et permet aux acteurs d’échanger plus aisément et sur un ton plus convivial. Le groupe whatsapp comporte l’inconvénient d’être un peu plus intrusif que le mail. Tout comme une communauté dispose de ses propres règles, peut-être faudra-il décider collectivement des règles d’utilisation de ce média de communication. 

Après chaque atelier, la 27e région propose aussi une feuille de chou qui revient sur ce qui a été fait lors de l’atelier précédent. C’est une gazette que nous appelons « La bonne nouvelle du Lieu commun Masaryk ». C’est aussi un outil de diffusion, car nous la transmettons aux habitant.e.s de la résidence Masaryk. Ils peuvent y retrouver une adresse mail où nous contacter pour celles et ceux dont la curiosité aurait été aiguisée.

Établir une correspondance avec les habiatnt.es de la résidence sociale Masaryk- Visuel d'une carte postale, La 27e Région

Recits sonores

Comment imaginer un modèle d’organisation et de gestion collectives propre à un lieu, valorisant la coopération et la notion d’un commun, tout en donnant un nouveau rôle à l’acteur public ? Comment cela se traduit-il en termes d’équipe, de modalités de prise de décision, de programmation co-construite, de gestion et de fonctionnement quotidien ? Comment cela impacte-t-il l’administration, et comment cela transforme-t-il l’action publique (ses pratiques, ses outils, ses modes d’action) ? 

C’est le chantier que nous ouvrons avec Lieu Commun Masaryk. L’objectif est de co-construire et tester pendant 18 mois des activités et des formes nouvelles de partenariats, en impliquant les habitant.e.s pour mieux cibler leurs besoins, mais aussi les associations, des entrepreneurs locaux, les services et les élu.e.s de la Ville ainsi que les bailleurs sociaux, afin de relever ensemble le défi de la gestion et de l’animation des locaux collectifs résidentiels*, et voir quels enseignements transformateurs nous pouvons en tirer pour réinventer les politiques publiques. 

* locaux à usage collectif, souvent situés en rez de chaussée de résidences sociales, et destinés en priorité aux habitant.e.s du quartier

Co-construire l’enquête territoriale

En mai 2021, avant de partir à la rencontre des personnes qui pourraient constituer notre future communauté d’usager.e.s et gestionnaires du tiers-lieu, nous avons rencontré les élu.e.s de Sevran ainsi que les membres de ce que l’on appelle l’équipe cœur (les porteurs du projet Lieu Commun Masaryk : Vilogia, la Ville de Sevran, CDC Habitat), afin de poser le cadre du projet et de comprendre les attentes de chacun.

Les élu.e.s nous ont partagé leurs ressentis vis à vis des locaux collectifs résidentiels, et leur vision idéale d’une collaboration entre l’acteur public et les personnes et structures qui gèreront le futur lieu. L’atelier avec l’équipe cœur a permis à chacun d’exprimer ses attentes sur le projet, à titre personnel et pour sa structure, mais aussi pour le lieu et la dynamique du quartier. Afin d’inviter les acteurs à se projeter dans une vision positive du projet et de son fonctionnement, nous avions créé des récits audios (à écouter dans la colonne de gauche), projetant des personnages fictifs dans le quotidien du futur lieu. En plus d’ouvrir les imaginaires, ces récits ont permis de lever certains a priori et de dépasser les premières craintes exprimées. 

Un panorama des acteurs à aller interroger, susceptibles d’être réceptifs ou intéressés par le projet est alors dressé, et une cartographie collectivement élaborée. Des binômes inter-organisations sont constitués pour aller enquêter auprès des forces vives identifiées sur le terrain.  

A la rencontre des acteurs du territoire

Vous le verrez, on utilise beaucoup l’image de la soupe au caillou pour ce projet de lieu commun. En effet, à ce stade d’exploration du territoire et de mobilisation des acteurs, nous nous représentons le projet comme une grande marmite où les personnes ou structures identifiées (élu.e.s, directeur de la vie associative, associations, entrepreneurs, porteurs de projets…) viennent ajouter leurs ingrédients (les usages qui leurs tiennent à cœur) et constituer la recette de cette soupe parfaite ! La richesse de ces temps d’échanges a amené certains acteurs à nous guider vers d’autres personnes, qui avaient elles aussi un ingrédient particulier et singulier à apporter. Ces rencontres avaient pour toile de fond une grille d’entretien semi-directif, mais davantage qu’un respect stricto-sensu de l’ordre des questions et de leur formulation, ces dernières étaient avant tout un outil pour échanger, faire connaissance et commencer à amener le sujet de la gestion partagée. On vous donne un aperçu des lignes directrices de ces entretiens ci-dessous :

ZOOM sur la grille d’entretien

  1. Qui êtes-vous ? (présentation de l’organisme, petit historique) – Que faites-vous (vos actions) ?
  2. Quel regard portez-vous sur le quartier Montceleux ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce quartier ? Ses atouts / particularités / sa valeur ajoutée ? Dynamique habitante / dynamique collective / Initiative habitante. Quelles activités projetez-vous ?
  3. Comment coopérez-vous aujourd’hui avec les autres acteurs du quartier ?
    > acteurs publics (mairie, bailleurs, mission locale, CCAS, centre social, etc.),
    > associatifs
    > autres habitants
    > éventuellement économiques ?

Quelle est la nature des liens avec ces acteurs (liens foncier/immobilier, mise à disposition de locaux, relation financière, relation contractuelle avec l’acteur public, ressources humaines, budget commun, soutien logistique, bénéficiaires…) ?

Avec lesquels de ces acteurs entretenez-vous des relations privilégiées et sur quels sujets/thématiques ?

Qu’est-ce qui fonctionne dans vos relations avec les autres acteurs (publics, associatifs, économiques, autres habitants) ? Qu’est-ce qui, au contraire, ne fonctionne pas ? Quelle serait votre vision d’une coopération idéale avec ces acteurs ?

De quoi auriez-vous envie / besoin (pour votre structure et pour le quartier) ?

Quelles seraient vos envies, attentes et besoins concernant le futur lieu partagé au sein de la résidence Masaryk ? Est-ce que vous vous projetez avec d’autres acteurs dans un espace partagé géré collectivement ? (évoquer la gouvernance partagée)

Remarques de vocabulaire 
Plutôt utiliser le terme de lien / relation avec les autres acteurs que le terme de coopération . Plutôt parler d’un lieu commun / d’un lieu partagé et géré collectivement plutôt que tiers-lieu.

Cartographie des acteurs rencontrés, La 27e Région

En parallèle de ces rencontres, nous avons pris le temps de nous documenter, d’aller voir ce qui se fait ailleurs d’inspirant. Un travail de projection est nécessaire pour éveiller les imaginaires, et invite à se poser des questions concrètes : Quelles sont les possibilités pour l’articulation des usages ? Qui aura la clé ? Quelles pourraient être les instances et les modalités de prises de décisions ? Ces questionnements, il s’agira de les faire atterrir lors des expérimentations afin d’établir les réponses les plus appropriées au contexte du lieu commun Masaryk et de son vivier d’acteurs.

Si cette phase d’exploration marque le début du projet de Lieu Commun à Sevran, il est à noter qu’un groupe d’étudiant.e.s avait déjà préparé le terrain lors d’une immersion d’un mois dans la résidence sur le thème de l’autonomie des personnes âgées. Les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes, mais les relations que les étudiant.e.s ont établies avec certains habitant.e.s ont permis d’introduire plus facilement le projet du futur lieu collectif au rez-de-chaussée.

Le début d’une correspondance avec les habitant.e.s

Comment embarquer les habitant.e.s de Masaryk dans ce nouveau chapitre que nous voulons écrire ? Le lieu commun en rez-de-chaussée de la résidence aura un impact direct sur leur cadre de vie, et il va de soi qu’ils ont toute leur place dans le projet. Mais comment partager cette vision d’un lieu géré en collectif alors même qu’il ne s’agit justement que d’une vision, que les travaux n’ont pas commencé, que ce lieu n’a pas d’existence concrète, mais qu’au contraire, le passé est encore bien présent dans les esprits et rappelle des heures pas toujours joyeuses à ceux qui l’ont vécu (quand ces espaces étaient appropriés par des trafiquants de drogue au désarroi des habitant.e.s) ? Comment, en partant de cet héritage, ouvrir collectivement des perspectives et un nouveau chapitre pour un environnement apaisé et convivial ? Ces questions nous nous les sommes posées, et allons tâcher d’y répondre ensemble dans les mois qui viennent.

Pour embarquer les habitant.e.s, nous leur avons écrit. Pas une bouteille à la mer, mais une carte postale qui se veut le début d’une correspondance, d’un échange, pas forcément tout de suite, mais qui fera peut-être du chemin chez celles et ceux dont la curiosité sera titillée par ce geste d’invitation. Cette carte informait les habitant.e.s de notre présence lors de la réunion publique sur les travaux de réhabilitation programmée début octobre : une bonne manière de faire connaissance, d’en apprendre un peu plus sur le projet et de recueillir des envies.

Après plusieurs semaines de rencontres riches avec les acteurs du territoire, nous avons ainsi clôturé la phase d’exploration et d’enquête par une rencontre lors de la réunion publique organisée par le bailleur Vilogia.

Nous avons partagé les résultats de l’enquête aux habitants et aux acteurs présents sous la forme de poster (un “accrochage” dans le jargon de La 27e Région). Même si le travail avait commencé, l’enjeu était de montrer que tout reste à construire ensemble et que rien n’est figé : la typologie des espaces est indicative et sert de support à la projection et l’imagination, la cartographie des acteurs est mouvante. Et une question à la clef : Et vous ? Qui veut rejoindre le projet ? Avec quelles envies ? Les personnes intéressées étaient invitées à venir coller un post-it avec leur nom, un usage/une activité souhaitée ou proposée, une volonté de s’engager. On récolte les adresses mails, dans la perspective du premier atelier d’interconnaissance quelques semaines plus tard. 

Ainsi, début octobre, les contours d’un collectif réunissant habitant.e.s, bailleurs, élu.e.s, agents de la ville, associations, entrepreneurs, commençait à se dessiner. Certains avec des projets, d’autres avec des idées ou des “simples” motivations, mais tous avec l’envie de voir émerger ce lieu par la collaboration entre acteurs.

Il nous reste à imaginer et tester, ensemble, comment co-gérer un lieu et articuler les aspirations de chacun.e.s … Sacré chantier ! Allez, on retrousse nos manches : les prochains mois seront ponctués de temps de travail collectifs et d’expérimentations pour envisager et construire les différentes possibilités qui s’offrent au lieu commun Masaryk. Affaire à suivre !