#sensibilisation-acculturation

De quelles évolutions concrètes les chef.fes de projets et autres acteurs du renouvellement urbain ont-ils besoin pour développer des approches « en commun » ? Quels sont les points de vigilance à avoir en tête, les ingrédients utiles et fertiles pour ce type de démarche ? Nous avons clôturé notre série d’ateliers organisés avec l’ANRU en produisant ensemble un plaidoyer en cinq points pour plus de communs dans les quartiers en renouvellement urbain.

 

#1. Clarifier les finalités 

Quelles sont les motivations d’une administration et de ses élus pour s’intéresser aux communs : Renouveler leur approche de la démocratie locale ? Soutenir le pouvoir d’agir des habitants ? Prendre soin plus collectivement de la qualité de l’espace publics et des biens collectifs ? Faire face à la baisse des ressources publiques ? Projeter une traduction locale d’une notion perçue comme mobilisatrice et transformatrice ? S’il n’y a pas de bonne réponse, clarifier l’enjeu et être transparent sur les finalités permet à la fois de mieux orienter la démarche et de se garder d’une forme d’instrumentalisation qui susciterait plus de défiance que d’engagement.

#2. Sécuriser les pratiques de communs et les agents qui les portent

Si certains agents sont sensibles à l’intérêt que peuvent revêtir ces pratiques , comme à la manière dont elles renouvellent leur travail, ou offrent de nouvelles perspectives pour l’action publique, ils ne peuvent faire cavaliers seuls. Un cadre d’autonomie suffisant, une commande politique claire, et l’attention aux dissonances entre promesse politique et cadre d’action mis en place au sein de l’administration (outils, management, etc.) sont autant d’éléments facilitants.

#3. Faire culture commune

Culture du dialogue, diversité des rôles, prééminence du terrain et des usages… S’impliquer dans des dynamiques de communs invite les collectivités à d’autres pratiques, postures et relations aux acteurs et au territoire, à ne plus être de “simples” financeurs mais partie prenante des projets par exemple. Si cette approche naît souvent au sein d’un service, en lien avec un élu, elle doit également infuser la collectivité pour être porteuse de transformations réelles . Partager une culture et un vocabulaire commun, des expériences et des ’exemples concrets sur les réussites comme les difficultés rencontrées, faire des liens avec d’autres projets du territoire, sont sur ce plan des éléments facilitants.

#4. Valoriser les initiatives sans les capter

Mettre en lumière et faire connaître les initiatives inscrites dans des gouvernances ‘en commun’ qui contribuent à améliorer la vie sur le territoire et les dynamiques citoyennes, c’est à la fois une forme de reconnaissance et un moteur d’implication. C’est aussi porter une attention à la valeur créée par ces projets, qu’elle soit financière ou en termes de bien vivre, d’inclusion, de qualité démocratique, etc. Pour autant, il est nécessaire de trouver le bon curseur pour respecter l’autonomie, l’agilité, la dimension collective et plurielle de tels projets et être vigilant aux logiques d’institutionnalisation, de normalisation ou de labellisation qui seraient contre-productives.

#5. Prendre soin de l’implication des habitants

Impliquer les habitants et associations locales dans la gestion/programmation est l’un des premier bénéfices des logiques de communs, mais il s’agit également de veiller à ne pas leur en demander trop, de le faire dans de bonnes conditions (en terme de cadre, de transparence, d’horaires, de qualité d’accueil, etc). Par ailleurs, « faire des communs » sans prendre en compte la réalité de terrain, par exemple décréter un commun hors de tout collectif d’acteurs locaux/habitants peut à aussi être contre- productif et créer plus de défiance que de coopération. Il faut également être attentif au temps requis pour ce type de démarche côté collectivité, et à l’implication nécessaire des agents publics.

 

Comment parler des communs et convaincre de leur utilité dans les quartiers en renouvellement urbain ? Quels indicateurs mobiliser pour rendre visible les effets de ces approches ? Comment raconter les transformations à l’oeuvre, les rendre désirables, mobiliser les élu.e.s, agents, partenaires, habitants ? Le dernier atelier du groupe de travail de Club ANRU+ « Communs dans le renouvellement urbain » portait sur la mise en récit et l’évaluation.

Quelles narrations pour les communs ?

Comment rendre compte de  la spécificité des expériences sociales, politiques et des solidarités qui se tissent dans les projets de communs ? Quels modes de narration pour valoriser sans normaliser de telles expériences collectives ? Quelles seraient les qualités d’un récit qui rendent compte de la pluralité des voix et des chemins qui les construisent ?

Benjamin Roux, éditeur et associé aux éditions du commun, part de l’approche des cultural studies, de l’éducation populaire, ou encore de son expérience d’habitant d’un quartier en renouvellement urbain pour expliciter sa pratique : en s’écartant d’un enjeu d’objectivité, il s’agit pour lui plus d’élaborer le récit à partir des « traces » produites depuis l’intérieur des communautés. Il y a autant de manière de raconter la vie que de vécus et d’individu.es, ce qui suggère également, dans de telles démarches, de chercher à produire ou à accompagner la révélation de ces récits de vie.  « Les traces côte à côte ne font pas un récit, c’est là que s’opère un travail narratif » Il demeure important que ces matériaux de départ intègrent les réussites comme les écueils et les difficultés afin que cette pratique révèle la complexité des situations.

On peut voir le récit comme une mise en mouvement performative et apprenante d’une pluralité d’acteurs, qui contribue à produire de l’engagement, de l’enthousiasme . C’est là ou l’on s’écarte du storytelling, qui oublie souvent que le récit explicite ses intentions et s’adresse avant tout à celleux qui le produisent,  participe d’une ré-appropriation des enjeux qui les traversent..   « La collectivité va aussi apprendre de ce qui est raconté »

Benjamin Roux identifie ainsi trois typologies d’intention et de récit :

. Faire bilan  : conclure par un récit final

. Faire un pas de côté : produire un récit intermédiaire

. Faire acte de puissance : rédiger le récit initial

Ceci amène des questionnements des rapports individus/collectif quant à la production d’un récit mais également des sujets de modes de production et de valorisation, pour favoriser la production inclusive de ces récits : espace de parole et ateliers d’écriture, carnet de bord écrits à plusieurs mains, récits de vie, fanzines,. etc. En plus de faire l’objet d’une recherche-action (2012-2016) sur la place des traces et récits dans les expériences collectives, la mise en récit est une pratique quotidienne pour Benjamin Roux : il accompagne la création d’un fanzine dans un quartier prioritaire. «  Pour les habitants, l’idée est de se ré-approprier la question de la sécurité, la relation avec les bailleurs sociaux, etc. ».

Comment révéler la valeur des projets de communs ?

Si l’évaluation est souvent un passage obligé dans les projets soutenus par les acteurs publics, quels rôles et formes doit-elle prendre dans les projets de communs ? Comment peut-elle contribuer à juger de la valeur crée, de ce à quoi les projets ont contribué, du point de vue de l’intérêt général, contribuer à muscler les projets, à favoriser l’engagement ? Comment faciliter une pratique la plus pluraliste et agile possible, à l’image des projets de communs ?

Karine Sage, spécialiste de l’évaluation des politiques publiques à Quadrant Conseil, pose les jalons d’une réflexion nuancée sur l’évaluation : cette pratique ne peut être réduit à un point de vu unique et organisationnel, mais doit « être prononcé depuis l’intérêt général », c’est à dire de manière rétrospective et selon un jugement pluraliste. Dès lors, l’accent méthodologique est mis sur la recherche d’éléments de preuve tangible : points de vue subjectifs et expériences – bonnes ou mauvaises, échecs comme réussites – des parties prenantes. Ils sont récoltées avec des outils issus des sciences sociales, des approches statistiques, des analyses documentaires, des observations ou encore des études de cas. « Le plus souvent c’est un exercice ponctuel, mais on pousse pour le faire de manière plus régulière, à l’intégrer dans la conception du projet » Cette collecte de connaissances est une mine d’or pour nourrir le pilotage de projets et réajuster ses mécanismes. En effet, cela permet de :

. Rendre visibles les mécanismes de transformation à l’oeuvre, repositionner chaque contributions dans un projet collectif, qui agit d’où : Il s’agit, au regard de l’enjeu initial, d’examiner les indices à charge et à décharge, les dynamiques de transformation : qui agit ou, ce à quoi l’on a contribué de manière directe ou indirecte, etc. L’évaluation participe ainsi d’une dynamique d’explicitation du projet, de ses qualités propres, mais peut aussi contribuer à des démarches de plaidoyer par exemple

. Mettre en lumière les acteurs et les actions qui convergent : il s’agit de donner à voir les réussites comme les échecs, de valoriser capacité apprenante des collectifs d’acteurs, plutôt que la capacité à ‘bien faire ‘

. Embarquer les acteurs du territoire : l’évaluation de la stratégie de conduite du changement de la ville de Loos en gohelle a ainsi contribué à mettre en mouvement et renforcer l’adhésion sur le territoire et inspiré d’autres collectivités, permettant dès lors de changer durablement les pratiques localement et dans d’autre communes.

Evaluation et mise en récit : quelques enseignements pour les projets de communs dans les quartiers en renouvellement urbain

Donner à voir le commun qui se constitue : La mise en récit comme l’évaluation rendre visible la manière dont un collectif s’est constitué et ce qui fait commun dans un projet. « Une ensemble de personnes au sein d’un espace ne fait pas forcément collectif ; une classe, le premier jour de la rentrée scolaire, ne fait pas collectif, elle fait groupe ».

Faire plaidoyer pour ce qui a de la valeur, définir ce à quoi on tient : les deux pratiques permettent également de faire émerger les valeurs du projet, mobilisatrices pour rassembler une diversité de parties prenantes (habitant.e.s, associations locales, maisons de quartier, structures institutionnelles …), de mettre des mots sur ce qui rassemble une diversité d’acteurs dans une même dynamique.

 

Des liens et ressources sur l’évaluation et la mise en récit :

Comment faire le récit de nos expériences collectives, Benjamin roux / L’école du terrain

Les ateliers de l’Antémonde, fabriquer des imaginaires enthousiastes et critiques

Le site de Quadrant conseil, et l’étude de cas sur la contribution de la stratégie de conduite du changement de Loos en Gohelle à la protection de la biodiversité

Evalphobia, un jeu pour dépasser toutes les bonnes raisons à ne pas faire de l’évaluation

 

Comment, dans les quartiers en renouvellement urbain, mobiliser les acteurs locaux et les habitant.es, sécuriser leur implication, stimuler leur engagement dans la durée ? Quelles pistes pour travailler avec des groupes non organisés et des collectifs informels dans les projets co-financés par l’ANRU ? Quels modes de gouvernance entre des acteurs divers, comment prendre soin du collectif et permettre la contribution de chacun.e ? Un premier atelier nous a permis de mieux cerner sur quelles problématiques les approches de gouvernance partagée inscrites dans le mouvement des communs pourraient venir inspirer les professionnels de l’ANRU et des collectivités impliqués dans des quartiers politiques de la ville ; ce second atelier visait donc à explorer collectivement différents retours d’expérience d’acteurs engagés dans des dynamiques inspirés des communs, notamment autours d’approches juridiques, pour venir nourrir les projets et les réflexions des participant.es.

KriZ, un jeu pour s’inspirer d’initiatives européennes en matière de gouvernance partagée

En guise de mise en jambe, nous testons KriZ, un jeu de plateau imaginé pour découvrir une variété de leviers, glanés en Europe, au service de gouvernances mieux partagées : pactes de collaboration entre habitants et municipalité pour prendre soin de l’espace public, parlement organisé pour co-gérer une ressource en prenant compte l’intérêt des générations futures ; managers de quartiers pour identifier et mettre en réseau les micro initatives locales ; etc. En quoi ces mécanismes peuvent-ils former les jalons d’un système de résilience en temps de crise ?

Il s’agit ici moins d’adopter une démarche solutioniste, que de réfléchir aux  changements de posture nécessaires entre acteurs publics, privés et société civile pour mieux partager les responsabilités et le pouvoir et d’imaginer des formes d’alliances nouvelles pour muscler la résilience d’un territoire face aux crises… Avant de poursuivre autours de trois retours d’expérience.

Antoine Raynaud, un nouveau récit et des outils de coopération pour Loos en Gohelle

Loos en Gohelle, petite ville de 7 000 habitants collée à Lens, ancien bastion de l’extraction du charbon, se distingue depuis la fin des années 90 par une politique de participation citoyenne singulière. Le choc de la fermeture des mines, et la crise économique et sociale qui s’ensuivit furent des expériences particulièrement traumatisantes et dégradantes pour les habitants. À son arrivée au conseil municipal en 1995, Jean-François Caron fait alors le pari d’une reconstruction à travers le développement durable et la culture (spectacles participatifs, land art sur les terris, valorisation des métiers et de l’histoire de la mine…) ; il s’agit de faire retrouver à chacun.e sa fierté et son attachement à la ville. Impliquer, et faire passer à l’acte les habitants devient la condition indispensable de transformation de la ville, autant que des individus eux-mêmes. Le travail de terrain avec les élu.e.s aboutit à un diagnostic social et environnemental partagé sur l’énergie, la gestion de l’eau, ou la gestion agricole et urbaine : la Charte du Cadre de Vie, qui fait de Loos et de sa stratégie de transition la première ville démonstratrice de l’ADEME.

La démarche d’engagement des citoyens va plus loin à partir de 2005, au travers de la mise en place du mécanisme des “fifty-fifty” qui vise à partager les responsabilités entre ville et habitants dans le cadre d’un projet d’aménagement et d’intérêt public. 3 principes viennent structurer la démarche : « une idée, un appui de la commune et une convention ». Les idées remontent par des canaux plutôt informels (discussions, réunions publiques) ou via les relais de communication classiques (courriers, encarts dans le journal municipal…) plus que numériques. Les agents et les élu.e.s servent de relais dans les associations et les familles. La mairie tranche – peu de co-décision car c’est l’élu qui garde la responsabilité  ; la municipalité apporte ensuite une aide financière, matérielle ou en ingénierie ; les porteurs de projets se chargent de leur réalisation qui peut être du ramassage de déchets, de la rénovation de chemins ruraux ou encore de la plantation d’arbres. Chaque “50-50” fait l’objet d’une convention (sans valeur légale) qui permet de clarifier les acteurs, les tâches et les engagements et qui donne un cadre et une traçabilité. Face à la problématique juridique posée par les travaux de gros œuvre, la ville engage sa responsabilité et prend un arrêté conférant aux participants le statut de “collaborateur occasionnel de service public”.

Cette astuce administrative, montre à quel point cette culture de la coopératiomérite d’être diffusée au-delà de la concertation citoyenne, avec les partenaires, mais aussi en interne, à la mairie, en sortant de ses missions attitrées et en faisant “ce pas de plus vers l’autre” pour mieux rendre service, mieux collaborer. L’essentiel est donc de permettre un espace d’expérimentation et d’expression pour les agents, en s’autorisant à chercher, à tenter, le tout étant de documenter et d’évaluer. Le portage politique, comme la posture des agents, sont ici tout aussi importants. La coopération entre DGS et directeur de cabinet se révèle clé dans cette articulation entre un discours politique et un leadership administratif.
“Dans la réalité c’est plus compliqué et moins romantique” nuance notre interlocuteur. Ce sont souvent les mêmes qui s’impliquent (représentatifs pour autant de la diversité de la ville) et l’on retrouve un schéma en 3 strates : un noyau d’habitants porteurs ; des habitants engagés ponctuellement selon leurs intérêts ; des personnes que l’on touche jamais (refus, opposition politique, autocensure…). Bien qu’il faille “faire le deuil de ceux que vous ne pouvez pas toucher”, la participation marche pour certains qui s’impliquent et découvrent ainsi l’envers du décor de la production de l’action publique.

Même si la tendance est à la baisse depuis le Covid, on compte en moyenne 5 à 6 projets par an depuis le lancement, plusieurs centaines d’habitants impliqués, près de 200 réunions publiques par mandat. Par rapport aux années 1990, il y a également eu, localement, un quasi doublement du nombre d’associations. En témoigne, la réduction de 50% du coût de la rénovation des chemins ruraux en impliquant les agriculteurs, les fifty-fifty ont aussi permis de réaliser certaines économies ; d’où le choix de renforcer le budget des services techniques de manière systémique plutôt que d’avoir recours au budget participatif, pas très « capacitant » selon Jean François Caron et s’adressant à des gens déjà inclus et capables.
Bientôt 20 après, se dresse désormais, pour cette municipalité en transition, la nécessité de se réinventer sur ses propres méthodes de mobilisation et d’implication des habitants. Antoine Raynaud nous parle du tirage au sort ; des « TEDx Citoyens », ou « Ch’ti TAIDX », petits témoignages vidéos de projets qui donnent à voir de manière vivante comment ça fonctionne de l’autre côté du miroir. Ils permettent notamment de créer de l’interconnaissance et ainsi un terreau bien plus fertile pour monter des projets ensuite.

Pour aller (vraiment) plus loin : L’implication des citoyens. Retour d’expérience de la commune de Loos-en-Gohelle « Un référentiel pour faire le point et nourrir l’action » (110 p, 30 mars 2020)

 

Olivier Jaspart, pour une théorie du droit administratif des biens communs

Olivier Jaspart est conseiller juridique et promoteur de la théorie du droit administratif des biens communs ; il a notamment travaillé avec la ville de Grenoble, ou dans le cadre du programme Juristes embarqués co-porté avec la 27e Région et France Tiers Lieux. Il dessine au travers de quelles pratiques et cadres une cartographie de la manière dont les acteurs publics peuvent soutenir et stimuler des communs :

En incitant à la « mise en commun », par exemple en menant une politique de commande publique favorable aux communs (Achat de formation sur l’usage d’un logiciel libre à Grenoble ou à la Metropole de Nancy par exemple) , …) ou en promeuvant et rendant visible l’intérêt de ce type d’approche (ex: Mois de la Fabrication distribuée lancé par l’ANCT par exemple)

… Ou encore au travers de l’élaboration d’un cadre juridique (droit souple) incitant les acteurs à agir collectivement à la préservation d’un Commun, comme c’est le cas dans l’élaboration de Plan d’alimentation territoriaux ou de chartes territoriales (par exemple le Pacte pastoral du territoire Causses Cevennes)

En jouant un rôle  d’‘autorité d’entremise’ pour faciliter l’émergence de communs, par exemple en faisant évoluer les appels à projets vers des ‘appels à communs’, susceptibles de fédérer les acteurs pour les inciter à réaliser une oeuvre commune avec un objectif d’autonomisation d’une communauté d’usage (plutôt que de les sélectionner au travers d’un processus compétitif), ou encore en ouvrant le droit des habitants à la contribution à la préservation de l’espace public (par exemple dans le cas du Règlement d’Administration coopérative adopté à Grenoble). Dans les cas décrits ici, « l’administration est au centre des relations sociales pour veiller à l’émancipation des droits collectifs » garante de l’autonomie de la communauté d’usage et partageant la gestion du bien mis en commun (àopposer à une approche à d’ubérisation des services publics, mettant en place le retrait de l’administration, considérée comme une “plateforme” où s’échange un “marché” du service entre individus »)

En ouvrant la co-gestion de biens du domaine public à des communautés, par exemple en en déléguant la gestion au travers d’un bail emphytéotique (Les Grands Voisins, Euroasis), ou encore en adoptant un rôle de “syndic” d’un Commun environnemental, en accompagnant la mise en place d’Obligations réelles environnementales, convention qui permet à tout propriétaire immobilier de mettre en place une protection environnementale attachée à son bien.

Et enfin en se créant un devoir de redevabilité au regard de pratiques respectueuses des communs, par exemple au travers de schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, qui contribue à la promotion et au développement de l’économie circulaire et de ses acteurs.

Pour creuser ses recherches, plongez vous dans son blog (attention, pour les allergiques au droit, ça pique un peu !)

 

Nicolas Loubet et Rieul Techer, la gouvernance collégiale en tiers-lieu

Nicolas Loubet est entrepreneur-chercheur, notamment sur les politiques énergétiques et numériques. Au sein de la coopérative Oxamyne (Oxalis et La Myne), il conçoit et développe des programmes de recherche coopérative (comme DAISEE, sur l’énergie). Rieul Techer se dit ingénieur-chercheur-entrepreneur, coopérateur pour la coopérative Oxamyne co-gouvernée par la Myne. Depuis fin 2018, ils se sont investis dans le tiers-lieu La Myne (créé en 2016 à Villeurbanne), un lieu hybride et inclusif où convergent une pluralité d’activités et de fonctionnalité (coworking, cuisine, bricolage, etc), où se mutualisent les savoirs et les pratiques, et est encouragé l’expérience de la recherche action.

En 2014, l’idée originelle de La Myne est de créer un laboratoire citoyen qui soit un espace de réflexion et de savoirs partagés entre amateurs à propos des modes de vie durables. Au moment de leur rencontre avec la Métropole de Lyon cette année-là, l’urbanisme transitoire n’existe pas et la discipline n’est pas aussi structurée que maintenant en termes de cadres administratifs, juridiques, financiers. Autant de défis, donc, à relever depuis pour La Myne :

Trouver son mode de gouvernance chemin faisant. Au moment de l’acquisition du lieu, la communauté d’acteurs a eu besoin de se structurer pour s’ancrer dans une dynamique d’espace test, via un modèle classique d’association (président, secrétaire trésorier, CA). Cette forme, temporaire, a évolué au bout de 6 mois pour une gouvernance collégiale (voir les statuts) qui met en pratique des dynamiques d’autogestion. La Myne se revendique comme une espace peu hiérarchisé, le plus horizontal possible. Dans la pratique c’est le conseil collégial de 8-10 membres qui prend les décisions, mais l’idée est d’observer  un roulement « des décideurs ». Parmi les 200 à 300 membres qui composent la MYNE, tous sont invités à venir participer à ce conseil collégial par ailleurs. Par expérience, seulement 2/3 des personnes viennent en plus des membres du conseil collégial. D’autres groupes de travail sont toutefois constitués pour développer les activités de la Myne et travailler de manière autonome sur des propositions. Très vite, se jouent des concentrations d’informations ; or, une gouvernance partagée sans partage de ressources n’est pas envisageable. Il y a donc encore du travail avant d’arriver à une culture collective dans le rapport à l’information. Outre les instances de partage de l’information, La Myne a créé des outils numériques ouverts comme un Wiki où tout est retranscrit.

Créer un cadre de réciprocité pour définir la place de chacun. La communauté garantit un principe d’accueil inconditionnel, chaque personne souhaitant s’investir définit ce qu’elle souhaite/peut apporter comme contribution au collectif et ce qu’elle en attend ; ainsi sont formalisés des engagements communs, les termes/concepts sont discutés pour aboutir à des définitions partagées. L’accueil et la conciergerie ne sont pas institués, mais s’exercent de façon tournante par les membres de la communauté, impliquant une posture d‘écoute et d’accueil.

Préserver et étendre ce cadre. Ces derniers temps, le collectif cherche à se prémunir et à lutter contre l’épuisement associatif et autres phénomènes de burn-outs au sein de structures qui se veulent pourtant saines et solidaires. On tend alors vers une redéfinition des rythmes de travail pour mieux prendre soin des personnes et protéger ce cadre et cette philosophie originels. Ce que doit faciliter La Myne avant tout, c’est l’accueil et la capacité à faire chemin et à maîtriser son parcours professionnel. Dans un même souci de préservation des ressources, qu’elles soient matérielles ou humaines, La Myne entre donc dans une dynamique de budget décroissant. Enfin, un dernier défi reste à surmonter : La Myne rassemble avant tout des individus qui ne sont pas issus du QPV au sein duquel elle est implantée. Il n’y a jamais eu de personnes ou d’acteurs du quartier insérées au sein de l’association et s’y inscrire demeure difficile.

Quelques ressources par ici : https://www.lamyne.org/documentation/
Les activités de la Myne : https://movilab.org/wiki/La_Myne/2#L.E2.80.99association
La Myne par ses contributeurs pendant la crise sanitaire de 2020 : https://cloud.lamyne.org/s/3JeZtZeRB2ybDH4

Et Alice Collet ainsi que Hélène Gros de l’ANRU

 

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) bénéficiant du NPNRU (450 quartiers sur les 1500 QPV à l’échelle nationale) sont concernés par des projets de renouvellement urbain d’ampleur visant à améliorer le cadre et les conditions de vie des habitants et restaurer l’attractivité des quartiers et de l’offre de logements pour attirer de nouveaux ménages moins précaires et enrayer les effets ségrégatifs dans un objectif de mixité sociale.

Comment, dans ces quartiers concentrant des difficultés urbaines, sociales, sanitaires, économiques et environnementale fortes, génératrices d’inégalités territoriales (enclavement, trames viaires inadaptées, nuisances environnementales, dégradation du bâti et des espaces publics, déficit d’offre de services, difficultés de réussite scolaire, d’insertion professionnelle et d’emploi, pauvreté etc.), créer une dynamique collective impliquant de façon plus active les habitants leurs représentants mis en place dans le cadre des Conseils citoyens, les associations et les acteurs de terrain qui y travaillent au quotidien pour qu’ils se mobilisent dans les projets de renouvellement urbain au même titre que l’ensemble des parties prenantes institutionnelles de ces projets (collectivité porteuse du projet, maîtres d’ouvrage, services de l’Etat local etc.) ? Comment et à quelles conditions maintenir, développer et enrichir les réseaux de sociabilités et les dynamiques de solidarités préexistants, en incluant les nouveaux habitants des programmes de logement, les publics fréquentant les équipements, les actifs travaillant dans les locaux d’activité et plus largement la diversité des usagers du quartier ? Comment distribuer les rôles, partager la décision et la responsabilité, dessiner des modes de gestion plus collectifs, tout en étant respectueux du rôle de chacun ? Comment faire du « commun » dans un quartier en renouvellement pour s’assurer que chacun se sente partie prenante de la transformation à l’œuvre ? Et qu’est ce que la notion de « commun » peut apporter dans la conception et la conduite de cette transformation  ?

Nous engageons avec l’ANRU un programme pour explorer dans quelle mesure les approches de gouvernance partagée inspirées des «communs» offrent des réponses nouvelles aux enjeux spécifiques des QPV en renouvellement urbain. Les modes d’organisation collective inscrits dans le mouvement des partenariats public-communs peuvent-ils inspirer les différentes modalités de pilotage et d’accompagnement des transformations urbaines ? Quels retours d’expériences et outils peuvent nourrir les démarches des porteurs de projets, des maîtres d’ouvrage et des différentes parties prenantes ?

Un cycle de 3 à 4 ateliers nous permettra, au travers d’échanges entre acteurs des quartiers en renouvellement urbain et équipes de l’ANRU, de retours d’expérience, et d’exploration d’outils et cadres (juridiques, financiers, organisationnels,…) expérimentés en France et en Europe, d’enrichir les projets menés par la quinzaine de chef.fe.s de projet renouvellement urbain et membres des équipes ANRU, bailleurs HLM et autres acteurs locaux mobilisés dans ces projets.

Toute petite histoire de la notion…

Pour aborder les communs, un détour par Elinor Ostrom permet d’éclairer la notion. Prix Nobel dʼéconomie en 2009, cette chercheuse américaine montre en effet les failles de la Tragédie des communs décrite par Garrett  Hardin (1968), qui décrit un phénomène collectif de surexploitation collective d’une ressource ; en étudiant des modes d’auto-organisation et d’action collective notamment en Amérique du Sud, elle pose les fondements de sa théorie pour une gestion vertueuse des ressources communes, reposant sur 4 piliers :

  • Une ressource, matérielle (terre, forêt, pêcherie, jardin partagé, espace vacant, etc.) ou immatérielle (production de savoir comme wikipedia ou open food facts, logiciel libre, etc.)
  • Un mode de gestion et dʼorganisation, qui régule lʼusage de cette ressource, permet de résoudre les conflits et décrit la gouvernance de celle-ci ;
  • Une communauté d’usagers, en mesure de définir ces règles et de contribuer à cette gestion ;
  • Une visée de préservation (et de non-confiscation de la ressource) ;  qualifier lʼeau de « bien commun » signifie par exemple que sa  distribution, quel que soit lʼacteur qui lʼorganise, doit garantir lʼaccès de tous à  une eau saine et en quantité suffisante.

Cette notion de commun, très ancienne (on peut la dater du Moyen Age avec les pratiques de glanage dans les bois communaux par exemple, ou même en trouver des premières traces dans le code Justinien), connaît une résurgence avec le travail d’Elinor Ostrom. Celle-ci a également donné une grammaire et un étendard à des formes d’auto-organisation et de lutte menées par des communautés très diverses contre la privatisation de ressources (l’eau, des lieux d’intérêt patrimoniaux, etc.), pour l’accès à des ressources de base (logement, alimentation, …), etc. Elle connaît aujourd’hui une nouvelle résurgence en inspirant des acteurs publics, notamment des villes, pour inventer d’autres modalités de coopération avec les acteurs locaux et, par-là, des leviers d’action face à des défis pour lesquels l’acteur public ne peut plus agir seul et doit bâtir de nouvelles alliances : précarisation économique et sociale, crise écologique, défiance vis à vis des institutions démocratiques, etc.

Dans le cadre du programme Enacting the commons, La 27e Région a mené une enquête collective sur ces expérimentations qui, de Bologne à Amsterdam en passant par les banlieues de Manchester ou de Barcelone, se traduisent par de nouveaux outils juridiques, financiers, organisationnels… Il s’agit grâce à ceux-ci : de mieux partager le pouvoir de faire – au travers des pactes de coopération à Bologne par exemple, cadres contractuels légers et flexibles qui réglementent la coopération entre la municipalité et des porteurs d’initiative pour prendre soin des biens communs urbains dans une optique de transparence et de coopération ; d’élargir le cercle des parties prenantes dans la gestion des projets en incluant mieux les habitant.e.s et usagers par exemple – au travers d’initiatives de Parlements de l’eau par exemple, ou bien d’établissements optant pour le statut juridique de SCIC, qui permet aux salarié.e.s, usagers, gestionnaires et à la collectivité de s’impliquer activement dans la gouvernance d’une structure ; de développer de nouveaux leviers de justice sociale – au travers par exemple d’un Community Land trust, qui permet l’accès à la propriété de personnes à faible revenus…

Communs et renouvellement urbain : quesako ?

Si de nombreuses initiatives qui cherchent, en France ou ailleurs, à rebattre ainsi les cartes du partage du pouvoir de faire, de la décision, etc. ne se revendiquent pas nécessairement des communs, adopter une grille de lecture intégrant cette notion permet d’aborder des sujets clés pour la réussite des projets : la gouvernance et le partage de la responsabilité, l’autonomie et l’engagement, les modes de coopération et d’implication, la posture des parties prenantes, etc.

Un premier atelier d’introduction a permis d’échanger avec les équipes de l’ANRU autours de plusieurs projets menés dans des quartiers en renouvellement urbain et participant de telles dynamiques : Le programme Lieu Commun Masaryk à Sevran, en lien avec le bailleur Vilogia, qui cherche à stimuler une manière plus collective d’aborder, dans la durée, la gestion des locaux collectifs résidentiels en rez-de-chaussée d’une résidence sociale ; Le Marché Alternatif de Bellevue à Nantes (MAB), qui mobilise plusieurs associations du quartier et des habitants, soutenus par la ville, organisés pour collecter des invendus alimentaires comestibles puis les mettre gratuitement à la disposition des habitants, permettant aux bénéficiaires de s’impliquer dans la dynamique ;  Les Chantiers ouverts au public à Grenoble, qui offrent un cadre de participation aux habitant.e.s à l’amélioration du cadre de vie, et qui favorisent la réappropriation de l’espace public comme commun urbain.

L’échange a permis de commencer à cerner les enjeux des projets pour lesquels cette grille de lecture des communs peut être éclairante et source d’inspiration  :  Comment mobiliser plus activement les habitant.e.s et maintenir une dynamique dans la durée autour des projets ? Comment prendre en compte la contribution des participant.e.s ? Comment inventer de nouveaux modèles économiques pour des projets de coopération dans les quartiers en renouvellement urbain ? Etc.

Embarquement : Représentations et controverses

Un deuxième atelier nous a permis d’embarquer des chef.fe.s de projet renouvellement urbain d’une dizaine de collectivités (les métropoles d’Aix-Marseille-Provence, de Grenoble, de Nantes, de Nice, de Metz, de Strasbourg, les villes de Grenoble, de Grigny, d’Ivry-sur-Seine…) ainsi que de deux bailleurs HLM et opérateurs fonciers pour explorer plus concrètement leurs enjeux et les dimensions que nous pourrions creuser ensemble.

Un photolangage a d’abord permis aux participant.e.s de choisir partager leurs représentations des communs, définitivement plurielles ! Parmi les exemples évoqués on retrouve : 

– des exemples concrets (jardins partagés, fermes urbaines, communautés de vie, espaces publics collectifs ou ressourceries)

– des enjeux globaux (les communs mondiaux comme le climat, qui révèlent nos vulnérabilités)

– des principes (valeur d’usage des espaces, représentation démocratique, hybridation et réversibilité des espaces, un processus plus qu’un objet)

– et la théoricienne E.Ostrom sur la gestion des communs

Les participant.e.s se sont ensuite glissé.e.s dans la peau d’enquêteur.rice.s et d’enquêté.e.s pour un temps d’enquête croisée. A la lumière des exemples et des enjeux décryptés en amont, ils et elles ont pu prendre le temps d’identifier un projet de leurs territoires qui pourraient faire l’objet d’une programmation, d’une conception, d’une gestion et d’une appropriation partagée. Ici et là, des jardins partagés, des friches, des bâtiments vacants, ou encore des équipements ou espaces publics pourraient être repensés à la lumière des communs.

Les dynamiques de coopérations seraient ainsi des opportunités, notamment pour :  

Remonter des besoins et une expertise d’usage relativement à un projet d’équipement, d’espace public ou à un programme immobilier ;

– Préserver un équipement ou une ressource, assurer la pérennité d’une activité ;

– Se prémunir des mésusages et incivilités par le partage de la responsabilité et l’implication d’une pluralité d’acteurs ;

– Garantir l’accès à des besoins fondamentaux, comme l’alimentation par exemple.

Cependant, la coopération et la volonté d’avoir une diversité de parties prenantes autour de la table questionnent la gouvernance des projets de renouvellement urbain :

– La participation des citoyen.ne.s oscille entre information, concertation et réelle implication. Quelle réelle place donner aux habitant.e.s, sur quels types d’opérations et/ou de dimensions du projet de renouvellement urbain, et comment les mobiliser dans le temps ? Comment les impliquer davantage dans la prise de décision, tout en respectant le nécessaire rôle d’arbitrage du porteur de projet  ?

– Plus largement, comment mobiliser une pluralité d’acteurs, et notamment les acteurs de terrain, les professionnels qui travaillent au quotidien sur le quartier sur la durée autours de projet ? Quid de la coopération avec des collectifs plus informels ? Comment valoriser leur connaissance de la spécificité du contexte et des usages du quartier ? Comment intégrer leurs attentes et leurs besoins dans le cadre du projet ?

– L’absence de cadrage ou de modalités claires d’organisation et de prise de décision pénalise la bonne répartition des rôles et des responsabilités et menace la mise en œuvre, la qualité et la pérennisation du projet. Comment mieux définir et identifier clairement qui fait quoi et qui est responsable de quoi ?

– Des rapports de force et conflits sont parfois palpables entre les acteurs, notamment quand des parties prenantes (notamment concepteur, bureaux d’études etc.) sont extérieures au territoire et doivent justifier auprès des locaux leur légitimité. Comment faire en sorte que ces nouvelles parties prenantes s’appuient les ressources locales ? Par ailleurs, la posture adoptée par les acteurs publics (collectivité, Etat local, maître d’ouvrage etc.) peut être surplombante, avec un souhait de garder la main, car ils pilotent, accompagnent et financent le projet, et en sont à l’initiative. Les Copil, Cotech… sont encore trop souvent majoritairement réservés aux acteurs institutionnels, malgré les évolutions apportées par les réformes de la politique de la ville (création des conseils citoyens associés aux instances de pilotage et mise en œuvre du contrat de ville). Comment poser les bases d’une gouvernance ouverte et vivante ? Comment impliquer de manière concrète les habitants dans les instances de pilotage et de mise en œuvre des projet  ? Quel peut être leur rôle ? Comment valoriser leur expertise d’usage ?

– La question de la formation, valorisation/rémunération des personnes contributrices est assez peu abordée. Comment sécuriser l’intervention des habitants, quelle reconnaissance de la contribution des participants ?

– Quels montages juridiques et financiers pour garantir la pérennité d’un projet collectif ?

Ce temps d’enquête a ainsi permis de cerner les sujets que nous pourrons explorer dans les prochains ateliers, notamment en collectant des retours d’expériences, et en créant des ressources partagées (outils, cartographies, acteurs ressources…). A suivre !