Pour arriver jusqu’à un café mobile rutilant, il faut remonter quelques mois plus tôt, début décembre 2021, lors d’un atelier collectif d’émergence d’idées. Les participant.es étaient invité.es à imaginer des activités à mettre en place avant la livraison du lieu commun, en guise d’expérimentations, pour commencer à insuffler coopération et dynamique collective (ces activités devaient en effet être portées par au moins 2 acteurs de structures différentes). Dans cette profusion d’idées, certaines ont été approfondies, d’autres se sont concrétisées, et quelques unes ont encore besoin d’un peu de temps, et trouveront peut-être l’opportunité de leur épanouissement dans le futur lieu commun.
Les compagnons Bâtisseurs – les bricoleurs du collectif – ont alors soumis au groupe la création d’un café mobile : un stand sur roulettes qui pourrait faire l’objet de nombreux usages (kiosque, atelier cuisine, café à thème, moment convivial entre habitant.es… les possibilités semblent infinies). Appuyés par Compétences Emploi pour la mobilisation de participant.es, les Compagnons Bâtisseurs ont animé un atelier de co-conception avec le collectif, puis 3 semaines de chantier participatif entre juillet et mi-septembre à destination des habitant.es du quartier. Retour en mots et en images sur la concrétisation de cette expérimentation !
Co-construire un objet commun
Le café mobile est une création collective. Les Compagnons Bâtisseurs ont animé un atelier de co-conception qui a suscité l’engouement du collectif, les participants étaient nombreux ! Ensemble, ils ont pu identifier les usages qu’ils projetaient sur cet objet, et par conséquent les besoins inhérents (c’est à ce moment qu’ont par exemple été pensés les paravents pour créer des espaces d’intimité). Des petites briques de construction ont permis de penser le volume et l’espace nécessaire. Les considérations esthétiques du café mobile n’ont pas été oubliées : de la couleur aux choix des matériaux, ces détails sont passés par des choix collectifs.
La construction du café mobile en chantier pédagogique : la difficile mobilisation des habitants du quartier
Pour construire le café mobile, les Compagnons Bâtisseurs ont animé un chantier pédagogique destiné à un public de jeunes et adultes, qui auraient envie de découvrir le maniement des outils et approcher la construction pendant 2 semaines et demi. Malheureusement, la proposition n’a pas suscité l’adhésion espérée. Quelques petits couacs de coordination entre les acteurs n’ont pas facilité la tâche, les départs en vacances des habitant.es du quartier non plus. Et puis un élément a indéniablement joué en notre défaveur : la canicule de juillet. Près de 40°C à l’ombre … Qui aurait envie de faire vibrer le scie à bois sous un soleil de plomb ? Les Compagnons Bâtisseurs (et leur énergie à toute épreuve) ont tout de même commencé la construction, aux pieds de la résidence Masaryk. Un nouveau rendez-vous est pris pour 3 jours de chantier mi-septembre, nouvelle opportunité pour les habitant.es de participer, pour des travaux plus simples de finition cette fois-ci. La présence quotidienne des Compagnons Bâtisseurs dans le paysage de Masaryk pendant plusieurs dizaines de jours a tout de même permis de faire connaître leur activité et leur association auprès des passant.es et résident.es.
On ne va pas vous le cacher, nous aurions espéré plus de participation à cette expérimentation. Cela nous a questionné sur la manière de solliciter les habitant.es, jusqu’ici plutôt absents de la démarche. Malgré de la bonne volonté, le porte à porte pour les mobiliser, ou encore nos outils de communication pour les tenir informés au fil de l’eau de l’avancée de la démarche (cartes postales et gazettes), cela n’aura jamais la portée d’une présence quotidienne sur le terrain, d’un réseau de relations bâti depuis plusieurs années. C’est là où les acteurs au plus près des habitant.es, telle que l’Amicale des locataires, ont un rôle indispensable à jouer pour faire le lien avec le projet, en usant de leur capital-confiance, qui suscitera davantage l’adhésion qu’une bande d’inconnu.es, qui malgré leurs bonnes intentions, viennent toquer à la porte (« Toc toc toc, Bonjour ! Il y aura un chantier participatif pendant 3 jours en pleine journée, venez ça va être chouette. Au revoir »), et disparaissent 1min30 plus tard.
Pour connaître les acteurs à solliciter et se faire des « allié.es » sur le terrain, une enquête préalable est salutaire afin d’avoir une bonne cartographie d’un territoire. À Masaryk, entre mai et septembre 2021, une enquête participative a été réalisée par des binômes 27e Région-Vilogia, parfois par un trinôme 27e Région-Vilogia-Ville de Sevran. A défaut d’être immergés au sein d’un quartier, les savoir-faire des acteurs locaux seront utiles tout au long du processus. Ces acteurs sont par exemple les maisons de quartier, les Amicales de locataires, les chargé.es de gestion urbaine de proximité, les commerce de quartier, les missions locales, un.e habitant.e … À la suite de l’enquête, nous avions compris que la Présidente de l’Amicale des locataires de la résidence Masaryk était une figure importante du quartier. Forte tête, c’est une personne qui aime se sentir utile et qui a besoin de faire des choses. Pour l’inauguration, elle a mis à disposition du matériel : tables, nappes, matériel de transport. Sa grande proximité avec l’association de quartier Potenti’elles Cité a permis que celle-ci prépare le buffet. Et son ancrage au sein de la ville de Sevran (elle habite la résidence Masaryk depuis les années 70) en fait une personne qui compte et qui est capable de faire venir des élu.es.
De même, l’enquête a permis de mettre en lumière le travail réalisé par la directrice de la maison de quartier E. Michelet. Elle a mis en place notamment des veilles sociales, outil de partage d’informations entre différentes institutions : bailleurs sociaux ; centres sociaux, CCAS, associations locales, clubs de prévention… La maison de quartier est devenue un soutien important de la démarche du tiers-lieu en accueillant certains ateliers, en faisant des campagnes d’affichage notamment pour l’inauguration du café et en nous proposant de nous inclure dans le dispositif de veille sociale.
Le temps de la fête : célébrer la fin du chantier autour d’un moment convivial
Mi septembre, la structure du café mobile est prête ! Il manque quelques détails, des finissions à faire comme ajouter le toit et réaliser la peinture, mais le principal est là pour accueillir l’inauguration du café mobile. Cette inauguration illustre une réussite collective : entre le soutien de l’Amicale des locataires qui est un relais primordial dans la résidence, le travail des Compagnons Bâtisseurs, et la réalisation du buffet par l’association Potenti’elles cité. Le pied de la résidence Masaryk s’anime, de partenaires, de participants aux ateliers fidèles, et d’habitant.es curieux.ses de voir de l’animation en bas de chez eux. En plus de profiter joyeusement de ce moment convivial pour faire connaissance, nous avions prévu un affichage qui présentait les différents ateliers et le fruit de nos réflexions collectives, nous permettant ainsi de faire de la médiation autour du projet de tiers-lieu et du travail sur une gouvernance d’un nouveau genre. « C’est bien, ça va apporter une nouvelle dynamique au quartier » ; « c’est super s’il y a un lieu pour les jeunes, car pour le moment il n’y a pas grand chose », « oh ce sera super », « et comment on fait pour emprunter le café mobile ? ». On peut le dire, cette inauguration a été une réussite ! Ne jamais négliger les moments de célébration, qui ravivent la dynamique collective et renforcent la conviction qu’il s’invente quelque chose de stimulant.
Et la suite ? Un atelier pour imaginer la gestion collective de cet objet totem !
Et maintenant ? Comment faire quand on souhaite emprunter le café mobile ? Car bien entendu, l’objectif n’est pas de le laisser prendre la poussière pendant 1 an ! Cet objet, c’est une incarnation du lieu commun en construction, un objet collectif dont il faut maintenant définir les règles de gestion et d’usage. Cela peut paraître parfois un peu stratosphérique de parler de règles d’usages et de gouvernance d’un lieu qui n’existe pas encore (oui, on parle bien du tiers-lieu de la résidence Masaryk). Alors ce café mobile est une occasion de projeter des mécanismes concrets de gestion, de règles collectives, pour appréhender en douceur les futurs questionnements du collectif. Et devant les sollicitations de certains membres du collectif, nous devons maintenant nous atteler à définir cette gestion ! La suite (très rapidement) au prochain épisode car les premières demandent d’emprunt sont déjà là…
Si la dynamique collective était une mayonnaise … (ou les enseignements que nous retenons de cette expérimentation).
Si la dynamique collective était une mayonnaise, il faudrait un bon liant pour faire s’agréger les ingrédients. Et ce liant c’est … l’interconnaissance, point de départ d’une relation de confiance. Sans trop rentrer dans les détails, nous avons évoqué des petits couacs de coordination entre les structures porteuses de cette expérimentation. À La 27e Région, nous avions souhaité nous mettre en retrait de l’organisation, pour observer quelle(s) coopération(s) pouvai(en)t se mettre en place entre les acteurs. Peut-être par manque de clarté de notre part, il n’y avait pas de référent/chef d’expérimentation clairement identifié pour le café mobile. Chacun étant par ailleurs mobilisé par ses préoccupations quotidiennes, cela a pu nuire quelque peu à la dynamique collective (pour filer la métaphore, sans un bon coup de main pour faire monter la mayonnaise, elle finit par retomber…). Avec les quelques ateliers que nous avons menés jusqu’à maintenant, les structures qui n’étaient pas forcément familières les unes des autres ont pu commencer à s’apprivoiser. Mais la confiance ne suffit pas. Quand on travaille sur des projets multi-acteurs, la fonction de coordination est aussi un élément à ne pas négliger. A Masaryk, le recrutement de jeunes pour participer au chantier (qui se déroulait pendant les vacances scolaires) a souffert d’un manque de coordination. La 27e Région aurait peut-être dû incarner ce rôle, toujours est-il que la question du recrutement d’un coordinateur apparaît comme d’autant plus essentielle dans un avenir proche (avant même la livraison du lieu) pour maintenir la dynamique.
Une bonne mayonnaise, ce n’est pas la plus simple à réaliser en cuisine. Il faut exercer son coup de main, et c’est là que les expérimentations, en sécurisant l’essai-erreur, sont des bancs d’essai avant d’obtenir une recette inégalable.
Ping : Un parcours utilisateur pour poser les premières billes de gestion du café mobile